La bourse W. Eugene Smith a été remise hier dans le large auditorium de l’Ecole des Arts Visuels, à New York, rempli pour l’occasion de photographes et d’éditeurs. Une bourse de la photographie humaniste de 30 000 dollars – proche du montant des dettes accumulées par Smith pour poursuivre ce en quoi il croyait – attribuée à un photographe que l’on connaît principalement pour sa couverture d’une guerre inhumaine.
Depuis le déclenchement des guerres à répétition dans le Proche et le Moyen-Orient, Peter Van Agtmael est poussé par un désir aussi indomptable qu’inqualifiable de la suivre, d’en faire partie, du coté américain.
Apres six intenses années à suivre le désastre des conflits qui lui ont valu en 2008 d’être l’un des rares photographes à intégrer si jeune le cercle fermé de Magnum Photos, Peter Van Agtmael a décidé d’aborder la guerre dans un sens plus large, celle qui implique plusieurs parties, celle dont les conséquences ne sont pas immédiates, celle qui sépare de ses racines, celle dont les cicatrices sont invisibles. Humaniste, donc.
C’est probablement l’une des raisons qui ont fait penché le jury – composé de Susan Bright, Lauren Wendle et Kira Pollack – vers son projet, sélectionné parmi des propositions de qualité comprenant notamment la charbonneuse investigation en noir et blanc de Jon Lewinstein sur l’immigration mexicaine aux Etats-Unis ; l’enquête en double-exposition sur l’ambiguë situation de Chester, ravagée par les crimes, de Justin Maxon ; le reportage aux tonalités cinématographiques de Robert Yager sur les gangs de Los Angeles.
La bourse est en effet attribuée en fonction de la qualité du travail déjà réalisé, bien sur, mais également sur l’évaluation de ce qu’il reste à accomplir. Un critère difficile à évaluer mais sur lesquels les précédents jurys avaient vu juste si l’on prend pour exemple deux des anciens lauréats présentés ce soir : Marc Asnin, dont le projet Uncle Charlie, commencé en 1981 et récompensé en 93 fait l’objet en 2012 d’un ouvrage chez Contrasto ; et Donna Ferrato, qui poursuit toujours aujourd’hui son travail sur la violence domestique soutenu en 1985. Dans le cas de Massimo Berruti, qui a reçu pour cette édition 2012 une mention d’honneur méritée, ce dernier critère a pu être dur à percevoir tant la consistance de la production existante et la profondeur de son investigation sont déjà étourdissantes.
Laurence Cornet