La nouvelle exposition du Centre International de la Photographie de New York, Perpetual Revolution : the Image and Social Change tombe à point. Nous vivons une époque tumultueuse, et plus turbulente encore depuis l’investiture de Donald Trump. Les hommes et les femmes qui agitent des pancartes et des banderoles – et des appareils photo, bien sûr – dans les rues de New York feraient aussi bien d’entrer au Centre International de la Photographie, où ils verraient l’expression de leurs revendications et de leurs expériences, tout en apprenant par quels moyens puissants leurs causes sont symbolisées visuellement.
Cette exposition, qui ne lésine pas sur les moyens, présente 117 objets, et plus de 100 artistes. Elle se compose de six sections couvrant des mouvements hétéroclites, choisis pour leur force : Black Lives (Have Always) Mattered (La vie des Noirs a (toujours) compté), The Fluidity of Gender (La fluidité du genre), Climate Changes (Changements climatiques), ISIS and the Terror of Images (Daech et la terreur des images), The Flood : Refugees and Representation (Exode : les réfugiés et la représentation), et The Right-Wing Fringe and the 2016 Election (La minorité d’extrême-droite et les élections de 2016).
Les commissaires d’exposition, Carol Squiers et Cynthia Young, assistées par toute une équipe, soutiennent que les images ne servent pas seulement à documenter ces mouvements, mais qu’elles les alimentent et sont d’une certaine manière l’instrument de ces luttes. Les nouvelles technologies permettant de produire et diffuser les images (les téléphones équipés de caméra, et les réseaux sociaux, principalement) ont d’après elles contribué à accélérer l’émergence de ces mouvements avec une célérité sans précédent.
Toutes les révolutions modernes reconnaissent le pouvoir de l’image dans une certaine mesure, mais sans surprise, on peut voir que ce sont les mouvements les plus extrêmes de l’exposition qui expriment cette idée le plus clairement et l’utilisent avec le plus d’efficacité peut-être.
Dans la partie dédiée à l’état islamique, on peut voir une vidée de recrutement dans laquelle un homme affirme « Il doit être bien clair, mon frère, que ceux qui portent les caméras seront grandement récompensés par Dieu. Aussi j’invite quiconque soutient la religion de Dieu en portant un appareil photo ou une caméra à entrer dans cette bataille, qui est devenue à présent une guerre médiatique. » Et tout autour, documents vidéo et photographies attestent que cet appel a reçu une réponse massive. Les résultats sont bien finis, professionnels, soulignant à quel point les outils auparavant réservés aux médias se sont démocratisés.
La partie consacrée à l’extrême droite américaine consiste en deux diaporamas seulement, composés d’images tirées de Facebook, Instagram, Reddit, Twitter et autres sites. Les mêmes, les montages Photoshop et les dessins humoristiques exposés sont presque tous le fait d’amateurs, qui les ont postés sur les réseaux sociaux, témoignage criant de la capacité des mouvements activistes à se passer des censeurs médiatiques et des formes traditionnelles de création d’images.
Les autres sections ne concernent pas uniquement le présent et sont davantage tournées vers l’histoire, et par la manière dont les révolutions ont été représentées par des observateurs extérieurs. Dans la partie sur la fluidité du genre, des documents faits pour et par la communauté gay et trans côtoient des couvertures de magazines grand public. Et le contraste est saisissant. L’accrochage Black Lives (Have Always) Mattered, examine à la fois le mouvement Black Lives Matter et la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains au vingtième siècle. Une vidéo de Sheila Pree Bright, #1960Now: Art + Intersection, fait explicitement le lien, mais les autres documents, actuels et passés, se font visuellement écho. Dans « Climate Changes », la première image à remarquer est Earthrise, le cliché iconique de la NASA qui est devenu l’emblème du mouvement environnemental moderne. À d’autres endroits, les vidéos et photographies sont produites par les militants eux-mêmes.
Il convient de souligner que chaque section est assez consistante pour mériter à elle seule une visite. Quant à l’ensemble de l’exposition, il a de quoi submerger le visiteur par sa prolixité. Traverser ces salles est partir en voyage à travers les époques, les régions géographiques et les cultures. On y rencontre presque tous les types de photographies, des images documentaires vintage aux fils Instagram, en passant par les couvertures de magazine et les affiches artistiques. Les éléments multimédias sont également représentés : clips musicaux diffusés sur YouTube, extraits de journaux télévisés, et d’autres encore qui défient les catégories toutes faites, comme la création Untitled de Hakan Topal, commissionnée pour l’occasion, et qui mêle la vidéo, l’animation 3D et les images et sons de synthèse.
Bien que tous les mouvements représentés soient réunis en un même lieu, et dans une grande proximité physique, les organisateurs ont néanmoins laissé passer l’opportunité de montrer plus clairement les liens et parallèles qu’il peut y avoir entre eux. Les changements climatiques ont, en partie, causé la problématique des réfugiés. La propagande islamiste apporte de l’eau au moulin de l’extrême droite américaine, et en retour, les revendications de cette dernière inspirent le discours de Daech. Le mouvement Black Lives Matter est indéfectiblement lié aux notions de représentation du genre et de l’identité. Peut-être les visiteurs effectueront-ils d’eux-mêmes ces rapprochements, mais il aurait été intéressant de voir comment les commissaires d’exposition auraient pu les mettre en lumière ou les souligner. Aucune révolution n’est menée à bien dans le néant.
Jordan Teicher
Jordan G. Teicher est un critique et journaliste américain qui vit et travaille à Brooklyn, aux Etats-Unis.
Perpetual Revolution : The Image and Social Change
Du 27 janvier au 7 mai 2017
International Center of Photography
250 Bowery
New York, NY 10012
USA