Comment l’intelligence artificielle investit le domaine du patrimoine ? Des spécialistes sont venus en débattre à la BNF et raconter comment l’IA intervient dans de nombreux métiers.
Avec son entreprise Iconem, Andréa Louis, ingénieure logiciel et cheffe de projet technique, réalise des doublons numériques de sites archéologiques en danger d’extinction. Ce fut le cas en Syrie et en Irak où des djihadistes ont mis en péril des emblèmes du patrimoine mondial dans les années 2010. Grâce à l’imagerie 3D et à l’intelligence artificielle, ces sites ont pu être préservé numériquement. Aujourd’hui, Iconem réalise un travail avec Microsoft sur le Vatican. L’entreprise permet de détecter les fissures invisibles à l’œil nu sur les murs et de voir les mosaïques manquantes dans la basilique Saint-Pierre de Rome.
Une numérisation qui a aussi été fondamentale au Mali à Tombouctou. Les célèbres manuscrits de sa bibliothèque menacés de destruction par les islamistes en 2014 ont été numérisés en « urgence et dans une forme d’anarchie » relate Laurent Gaveau, consultant en culture et technologie LG Consulting and Strategies, fondateur du Google Arts & Culture Lab. L’intelligence artificielle permet depuis de naviguer dans ces milliers de manuscrits et de les regarder sous un autre œil, plus précis et plus analytique qu’avant.
Archéologie européenne
Après l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, dans la phase de reconstruction de la cathédrale, l’intelligence artificielle s’est aussi immiscée dans l’opération des bâtisseurs. La numérisation des registres capitulaires ont permis qu’ils soient lus et déchiffrés ensuite par l’IA. De même des milliers de photos du chantier ont été à la base d’une reconstitution d’un claveau par l’IA, permettant d’imaginer plus facilement ce qui était à reconstruire ensuite.
« Il y a une grande question autour de la souveraineté de ces données » pointe néanmoins Andréa Louis qui dit qu’Iconem s’interroge sur le partage au public avec le but d’être un jour accessible au plus grand nombre. Comment protéger ces « biens numériques » ? C’est ce que se demandent aussi Laurent Gaveau et Xavier Rodier, ce dernier travaillant sur un cloud européen autour de l’archéologie. « Nous risquons de perdre ce qui fait la mémoire du monde si nous n’investissons pas dans la protection de ces données » estime Laurent Gaveau. « L’IA échappe aux chercheurs et à ceux qui ont alimenté la machine » juge de son côté Aline Magnien, conservatrice générale du patrimoine honoraire, ancienne directrice du Laboratoire de recherche des Monuments Historiques (LRMH), qui plaide pour prendre en compte également la dimension écologique.
Par Jean-Baptiste Gauvin