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PATRICK TOSANI– AU CŒUR DE LA CREATION PHOTOGRAPHIQUE – MURIEL BERTHOU CRESTEY

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Le livre de Muriel Berthou Crestey, ” Au coeur de la création photographique ” propose une rencontre avec 24 des plus grands photographes contemporains.

Des photographes parlent. Quels sont les regrets ou les surprises qui ponctuent une vie de photographe ? Quelles sont les stratégies de réalisation, de partage et de diffusion qui leur correspondent ? Comment se sont forgés les points de départ, le thème, les formes etc. ? Quels sont les états d’âme des photographes ? En quoi les nouvelles technologies ont-elles modifié leurs pratiques ? Pour répondre à ces questions et à beaucoup d’autres, Muriel Berthou Crestey a rencontré des photographes représentatifs de différents mouvements de l’époque contemporaine.

L’Oeil de la Photographie vous présente au cours des prochains jours des extraits de ces entrevues, aujourd’hui PATRICK TOSANI.

 

Reconstruire le réel (l’entretien publié comprend 18 questions – en voici 6)

 

B. C. Envisagez-vous l’appareil photographique comme un mode de transfiguration du réel ?

T. Mon objectif est de créer une « survisibilité » par l’intermédiaire des cadrages et du positionnement. C’est parce que la photographie nous offre cette proximité presque scientifique avec le réel qu’elle permet, en même temps, une grande mise à distance, car l’image est complètement silencieuse. Ma recherche consiste à copier la réalité. Dans certains travaux récents, je re-photographie une matière presque excessive. Et ce doute entre peinture et photographie m’intéresse. La photographie se positionne dans cet espace curieux entre une grande présence aux choses et en même temps un hiératisme, une froideur. Cette série des Portraits est assez révélatrice : j’ai tout fait pour qu’on ait envie de toucher l’image, alors même que cette expérience serait ridicule.

 

B. C. Comment déterminez-vous les angles de vue ?

T. Le seul choix du cadrage induit une étrangeté du corps. J’utilise la photographie pour produire une transformation du regard. Pour la série des cheveux, par exemple, les têtes sont isolées pour proposer des « extraits du réel ». Je fabrique un dispositif pour que le modèle rentre dans le champ de l’image et s’en trouve transformé par la situation. Il est inclus dans un cadre que j’ai fabriqué. Il n’y a aucune retouche. Mon expérience photographique se passe dans le réel et non pas dans l’ordinateur.

 

B. C. Est-ce que l’observation de la surface permettrait de voir la profondeur des choses ?

T. Vous mettez le doigt sur ce que je cherche. La photographie n’est qu’une question de surface et d’image. Je ne fais peut-être que parler de cette surface, en espérant que cela réveille une vraie profondeur. Je dis facilement que l’image remonte à la surface. La manière de photographier et le choix des angles de vue font remonter le corps à la surface (que ce soit la tête ou le dessous du corps).

 

B. C. Le Land art, Francis Ponge, John Hilliard ont été citées comme des références pour votre travail. Est-ce que ces influences sont encore valables pour vos travaux actuels, ou bien d’autres viendraient-elles s’ajouter ?

T. Les références qui m’importent sont déjà présentes dans mes travaux de jeunesse. D’ailleurs, c’est ce que je répète à mes étudiants : ce qu’ils font actuellement prend racine quelque part. Les personnes que je cite sont des repères et comptent beaucoup. Après, elles continuent à exister autrement. Je suis lié à une histoire. Pour situer mon travail, il faut aussi parler de l’ancrage technologique dans lequel il s’inscrit. Au moment des années 1980, la question du format est devenue centrale. Et je suis sans doute partie prenante de ce mouvement.

 

B. C. Chaque série est reliée à la suivante, comme si elle était une lettre de l’alphabet tosanien pour écrire un poème sur la question du corps et de sa représentation. Est-ce que vous percevez une continuité entre les séries ?

T. J’utilise une écriture très descriptive. Pour moi, il s’agit avant tout d’expliquer la question du « faire ». Donc, je suis très concret. Le travail artistique, c’est la simultanéité du faire et du pensé. Et j’ai toujours introduit ce lien entre mes séries dans mon travail. Chronologiquement, je passe des Pluiesaux talons de façon simple. J’ai tellement apporté de minutie à la réalisation des Pluies, avec l’idée d’un flux, que j’ai compris la capacité descriptive d’une chose.

 

B. C. Que feriez-vous si vous pouviez devenir invisible ?

T. (silence). C’est une drôle de question. Ce serait presque métaphysique. J’aimerais qu’il y ait une grande invisibilité, une discrétion de l’artiste, dans mon travail. Et en même temps, ce n’est pas tout à fait vrai, car je mets en avant des forces et des potentialités visuelles qui pourraient s’y opposer. Il y aurait quelque chose de l’ordre de la disparition, d’une grande fragilité des choses. De là à basculer dans l’invisibilité et ne faire presque rien, ce serait une réponse que je pourrais vous faire. J’écoutais récemment une conférence très intéressante de Victor Burgin où il était question d’un logiciel numérique permettant de se promener dans un espace virtuel. Mais il n’y a plus de regard. Qui filme ? Personnellement, ma situation dans un lieu est importante alors que d’autres remettent en cause cet apport du regard. Avec le virtuel, la question de l’invisible se décale peut-être d’un cran supplémentaire.

 

Muriel Berthou Crestey – Au coeur de la création photographique

ISBN 978-2-8258-0285-4

Editions Ides et Calendes

www.idesetcalendes.com

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