Qui suis-je?
Un piéton de Paris avec un appareil photo. Flâneur en rue, je soutire des sourires aux choses vues. Enfin, j’essaye. Fais sourire ceux que tu aimes. Dissipe leur ennui. Ranime leur vie. Indispensable pour conjurer une époque qui ne contient plus assez de joie en elle pour faire sourire la vie. Alors, à l’adolescence de ma vieillesse, je continue. La rue demeure mon terrain de prédilection. Je sors toujours et encore mes yeux de leurs poches, pour traquer l’extraordinaire qui se cache dans l’ordinaire. La curiosité de mon objectif n’épargne personne. Hommes, scènes de vie, statues, singularités et l’air du temps n’y échappent pas.
Partout où mon objectif les croise, j’essaye de les immortaliser de manière à la fois pénétrante et légère. Je fais du drôle avec du triste ou du drôle avec du drôle. Jamais du triste avec du triste. Trop aigre, comme le vinaigre. Je préfère l’acidulé. Comme les sensations douces amères que me procuraient les bonbons acidulés de mon enfance. Rien ne me prédestinait à la photographie. Hormis, l’Olympus OM-1 que je m’étais offert lorsque j’avais seize ans. Et depuis, cela fait plus de cinquante ans que je cliche au fil de mes postes professionnels à l’étranger. Mon ambition photographique, si tant est que j’en ai une, est de continuer de prendre du plaisir dans ce que je fais.
Mais, ce n’est pas tout. D’avoir aussi l’impression que cela ait du sens. Que faire de toutes ces photos ? S’en délecter en les regardant avec des amis. Cela ne me suffisait pas. Alors en poste en Égypte, je souhaitais rendre aux Égyptiens ce qu’ils me donnaient. Des photos, c’est bien, des espèces sonnantes et trébuchantes, c’est mieux. Alors, j’ai proposé mes photos aux Presses de l’Université Américaine du Caire. Le plus important éditeur du monde arabe. De cette collaboration ont été publiés trois livres. Paris Le Caire, Déserts et Poésies d’Égypte, Egypt Forever. Les droits d’auteur, les ventes des tirages photographiques et autres ont été versés à l’Association des Chiffonniers du Caire.
Ils ont permis de bâtir une maison pour les femmes du Mokattam. Pourquoi les femmes ? Parce que lorsque vous éduquez un homme, vous éduquez une personne. Alors que quand vous éduquez une femme, vous éduquez une nation. Dans cette maison, elles y apprennent à refuser les mutilations génitales pour leurs filles et aussi à s’émanciper de la pression sociale. A mon retour en France, d’autres livres sont parus. Toujours avec la même destinée pour leurs recettes. Les éditions de l’Atelier ont édité un livre sur les chiffonniers du Caire. Puis, les éditions Milalma ont publié Fugues égyptiennes.
Comme je l’ai écrit ci-dessus, mon aventure photographique perdure. A Paris maintenant, où les rues sont devenues le théâtre des mes enfantaisies. En espérant capter, au fil de mes flâneries, des petits bonheurs pour des petits sourires. Alors à la question qui suis-je, la réponse est assez simple : un vieux photographe toujours en quête de partager en essayant, maintenant, d’apporter un sourire à ceux qui regardent mes photos. De retrouver aussi cette partie de nous-mêmes qui contient, encore pour certains adultes, une part de naïveté, légèreté, gaieté et d’autodérision. Sans oublier que le sourire n’appauvrit pas celui qui le donne et enrichit celui qui le reçoit.
Patrick Longueville