L’audace, c’est de voiler un nu d’une pénombre d’église mais de révéler l’intimité sulfureuse d’amants parfaitement habillés. L’audace, c’est aussi de ne jamais avoir peur de l ‘élégance. En 1968, lorsque le photographe Willy Rizzo, lié à l’aventure de Paris-Match depuis sa création, puis à Vogue., inventeur du portrait synthétique et maître de la couleur décide de devenir designer, c’est encore de l’audace.
L’Epoque est aux révolutions. Le mot fleurit de Pékin à Los Angeles en passant par Paris. Sanglant ou exaltant, avec ses vapeurs qui enflamment les esprits et libèrent les corps.
Et Willy le respire, lui qui n’a pas son pareil pour absorber l’air du temps. Il ne court pas après, comme on court après un papillon. Il se laisse attraper par lui, sans même l’avoir cherché, refusant de regarder ce qui se fait ailleurs, dans les magazines ou les vitrines, comme on refuserait l’ingrat métier de copiste, non par principe, mais par hygiène.
La quarantaine venue, Willy a changé sa vie. Il épouse l’actrice Elsa Martinelli. on murmure qu’il va ranger ses appareils pour vivre d’amour et de champagne… Ils ont choisi de s’installer à Rome, Willy exige que ce soit piazza di Spagna et nulle part ailleurs… Ca fait rire son coiffeur: « Signore, vous débarquez… Et pourquoi pas au vatican… » Willy a vite fait de dénicher ce qu’il veut: une grande pièce avec vue. Evidemment il n’y a pas d’eau. C’est un « local commercial sans usage d’habitation » on ne dit pas encore loft. Le coiffeur bluffé, fournit des adresses d’artisans pour l’aménagement. C’est avec eux, leurs enfants ou petits enfants, que Willy a travaillé jusqu’à la fin, quarante cinq ans plus tard.
Celui qui n’avais jamais pensé devenir décorateur voulait juste des meubles pour une nouvelle vie… Des meubles au dessus desquels ses portraits noir et blanc prendraient la place de toiles de maître. La photo n’est-elle pas l’art du siècle? Dolce Vita ou pas, Willy ne cesse d’être photographe. Il continue à cultiver son talent, la lumière, la couleur, le mouvement. Tout ce qui a fait sa palette de photographe s’adapte à la matière inerte: le décor devra s’alléger, s’éclairer, se mettre à danser.
D’abord il ne transige pas avec la matière. Elle doit être noble: marbre, bois précieux, acier, laiton. Il ne s’encombre pas d’impératifs commerciaux. A l’industriel dont la plus grande fierté est d’inventer le meuble livrable en carton plat… Il préféra toujours l’artisan, son savoir-faire, son inventivité. Sa main. Le style scandinave ? Bah… trop froid, trop impersonnel. Il s’affirme italien, comme l’indique son passeport. Chaleureux. Unique.
Les canapés sont en pécari, une peau infroissable comme le cuir mais douce et tiède comme le velours. Modulables, ils s’adaptent, poussent dans les angles, rapprochent les conversation. La lumière est un filtre. Celle des « love-lamps » est vouée au flirt, elle ricoche sur des abat-jour doublés de cuivre, avec des chaleurs de flamme. Comme des étendues d’eaux calmes, les laques – blanche, noires, rouges, renvoient les rayons de ces soleils artificiels. Les tables deviennent aériennes, avec leurs pieds invisibles, quand ils ne s’habillent pas de couleurs vives comme une semelle d’escarpin. Tout ce qui est laid, fonctionnel, doit disparaître.
Les assistants du photographe se souviennent du temps où Willy ne supportait pas les détails parasites: boutons de porte, fils électriques, bouteilles. Le designer invente la table basse avec compartiment pour les alcools, le meuble hi-fi, le coffre en acier et laiton qui dissimule un bar avec réfrigérateur. Les tables à plateaux tournants.
Les premiers clients seront les amis épatés: Brigitte Bardot, Gunther Sachs, Salvador Dali, Vincente Minelli. Le style Rizzo entre au palais Torlogua. Les grands play-boys en sont fous. C’est chic et sexy. Masculin. Du néo-classique qui met un peu de XXe siècle.
Cinquante ans après, au temps des tablettes tactiles, le style Rizzo demeure, inépuisable. Le meuble hi-fi devenu Galileo: une boule bleue, noir ou rouge qui cache sa technologie sous un design de planète. Les fauteuils clubs rose ou jaune tournent comme des étoiles sur orbite. C’est Willy B. 28 ans, qui en a eu l’idée. Audacieuse.
On imagine Willy Rizo regardant alors son jeune fils. Avec un œil neuf. Et la fierté du maître.
Danièle Georget
Cultura Audaciosa
Willy Rizzo
Du 31 mai au 31 juillet 2013
Studio Willy Rizzo
12 rue de Verneuil
75007 Paris
+ 33 1 42860731