Ils sont plasticiens, photographes, collectionneurs… et artistes. Tous se réapproprient des fonds anciens de photographies qu’ils considèrent comme une matière première pour la transformer et faire œuvre. À travers l’exposition Second Hands, la Galerie Binôme rend compte de ces pratiques transdisciplinaires de fabrique de l’image.
A l’heure d’Internet et du numérique, certains artistes se détournent des technologies et abandonnent leur appareil photo pour élaborer un travail à partir de tirages et de négatifs anonymes, sans valeur ni statut. Ces images orphelines sont trouvées ou glanées dans des brocantes, des archives de studios, acquises sur des sites Internet ou des ventes aux enchères. Les sept artistes exposés saluent cette époque primitive de la photographie argentique, à laquelle les images devaient leur existence au fait d’être développées et tirées. Leurs œuvres marquent un retour au tangible et développent un regard nouveau par l’entremise du geste.
Un geste ténu chez Marie Clerel qui vient glisser dans l’interstice d’une plinthe cinq photographies de tapis. À nos pieds, elles sont fragilisées, soumises au risque d’être écrasées par inadvertance. À la fois montrées et cachées elles agissent comme un pont entre visible et invisible, public et privé. Elles pointent une zone de porosité de l’espace, une faille parmi d’autres, ordinaire et discrète. Manisfeste en comparaison, l’œuvre d’Emmanuelle Fructus interpelle par sa démarche obsessionnelle. Cette artiste collectionneuse chine, trie, découpe des centaines de petits personnages qu’elle range sur des cartels, avec d’un côté les hommes, de l’autre les femmes, dans un ordonnancement savant. Un inventaire méticuleux de gens ordinaires qui provoque le vertige d’un mémorial. L’étalonnage de portraits, du presque blanc au presque noir, auquel se livre également Laurent Lafolie en retirant un à un les négatifs de 1956 d’un studio de photographie, compose une galerie du temps. Sans fioriture, du vide au néant, cette variation donne forme à l’éphémérité de notre existence. En face, Stéphane Lenthal transmet une autre série de portraits, pareillement issus d’un fonds de photographies d’identité des années 60. En rephotographiant sous un angle millimétré le verso des négatifs, il révèle la retouche quasiment imperceptible appliquée par les portraitistes au pinceau, afin de gommer aux yeux de l’administration les traits prononcés de leurs clients, immigrés dans un quartier de Marseille. Lilly Lulay s’attache d’une autre manière à l’envers du décor. Vue de loin, l’œuvre pourrait ressembler à une peinture. En s’approchant, on découvre dans les parties blanches de la composition, des inscriptions et des noms tels que Kodak, Epson ou Konica. Deux albums photo ont en effet été décomposés au scalpel suivant les contours des silhouettes ou des objets contenus dans les tirages. Ces fragments de photos retournés sont littéralement utilisés comme de la peinture et déposés au pinceau sur la toile. Un effet pictural que l’on retrouve dans les images à quatre mains de Melinda Gibson et Thomas Sauvin. Les photographies de la collection Silvermine1, sauvées de la ruine, sont reconsidérées au seuil de leur disparition. Elles sont comme gelées entre deux états, une partie étant sauvegardée et une partie détruite par les composants mêmes, acides et nitrates d’argent, qui proviennent des cuves de recyclage qui devaient les dissoudre. Le résultat final aléatoire est le reflet de la nature instable des négatifs, où de la matière organique se développe progressivement en surface.
Par tous ces jeux, de la fragmentation, du délitement et/ou de l’accumulation, ces artistes bouleversent nos habitudes en matière d’appréhension et de lecture des images. Les liens avec le réel en sont distendus et les frontières de la photographie repoussées, voire dépassées. Leurs œuvres abordent les questions du montré et du caché, du visible et de l’invisible, du privé et du public, de la mémoire et de la fiction, en résonance avec les enjeux contemporains en matière de recyclage. Elles nous invitent à réfléchir sur le statut et le rôle des images dans une société qui les surproduit et proposent, à leur manière, des modes de résistance à l’obsolescence programmée qui régit nos vies.
Cette thématique se développe également dans l’exposition au travers des éditions multiples et livres d’artistes d’Anna Broujean, Philippe Dumez, David, Fathi, Luce Lebart, Robin Lopvet, Benoît Luisière, Sylvie Meunier… Une place leur est consacrée comme un à côté, où l’on peut manipuler et ainsi apprécier une collection dans le temps de la découverte et de la consultation. Les oeuvres-tableaux, comme les formes éditoriales et autres supports dérivés réinventent le cycle de vie du photographique.
Sophie Bernard & galerie Binôme
- Collection de Thomas Sauvin, constituée d’un fonds de photographies chinoises sauvé de la destruction dans des ateliers de recyclage des matières premières.
EXPOSITION
Second Hands
Commissaire d’exposition : Sophie Bernard & Galerie Binôme
Du 27 mai au 23 juillet 2016
Galerie Binôme
19 rue Charlemagne
75004 Paris
France
+33 (0)1 42 74 27 25