Fanny Lambert : De quelle façon votre galerie a-t-elle vu le jour ?
Laure Roynette : Située rue de Thorigny à Paris, la galerie a été créée il y a aujourd’hui trois ans. Mon parcours est relativement atypique. J’ai d’abord fait des études en école de commerce, puis, en 1993, j’ai monté une galerie rue du Perche qui, hélas, n’a pas survécu longtemps. C’était sans doute trop tôt, j’étais jeune et ça n’était pas forcément non plus une très bonne année pour l’art contemporain. Toujours est-il que j’ai fait une carrière dans l’industrie, tout en gardant à l’esprit ma passion pour l’art et les artistes. J’accompagnais d’ailleurs des collectionneurs à qui je montrais le travail d’artistes que j’exposais dans des appartements. Puis, je me suis décidée à suivre un cursus en art contemporain à l’Ecole du Louvre, où j’ai assisté aux cours d’Olivier Michelon et Bernard Blistène. D’abord en auditeur libre, puis en tant qu’élève. J’étais ravie ! Je me rappelle avoir attendu avec impatience, chaque semaine, les cours passionnants de Bernard Blistène. Et je crois que cela n’est pas étranger au fait que j’ai volontairement refusé toutes notions de lignes quand j’ai ouvert ce lieu. J’ai été particulièrement frappée par la générosité de son regard et son attention vis à vis de la jeune création qu’il suit de près et qu’il accompagne, notamment en la rapprochant des sommités de l’art contemporain. Il semble s’intéresser à tout, sans a priori et dans une grande écoute, quels que soient les formes d’expressions envisagées. L’important pour moi, c’est la multiplicité des supports et des regards, et puis le doute qu’exprime l’art contemporain aujourd’hui de façon générale sur le monde. Qu’il s’agisse de questionnements d’ordre politique, sociologie, ou esthétique.
F. L. : Vous n’avez donc pas de spécificité ?
L. R. : Je sais que certaines personnes pensent qu’il en existe une, mais il n’y en a sciemment aucune. Alors que c’est l’une des premières choses que l’on vous demande lorsque vous créez une galerie ! En réalité, c’est une fois encore le doute qui m’intéresse. Peu importe le support, peu importe l’esthétisme. Excepté ce questionnement sur le monde qui nous entoure et qui est essentiel selon moi.
F. L. : Le nom de la galerie, qui est le vôtre, a-t-il été réfléchi ou s’est-il imposé de façon évidente ?
L. R. : Lorsque l’on ouvre une galerie, on demande conseil autour de soi. On m’avait alors suggéré plusieurs noms mais j’en suis venue à me dire qu’une galerie, c’est avant tout une personnalité. Et j’ai aussi un petit penchant féministe, donc je suis finalement assez fière qu’elle porte mon nom. Bien que ça ne soit pas évident à prononcer pour les anglo-saxons…
F. L. : Combien d’artistes/photographes représentez-vous actuellement et combien faut-il compter pour acquérir une œuvre chez vous ?
L. R. : Aujourd’hui, je représente quatorze artistes qui sont en exclusivité avec la galerie pour une durée de quatre ans. Je pense que j’irai jusqu’à une vingtaine au total. Quant aux prix, ils varient de 1 500 à 50 000 euros.
F. L. : « Avoir pignon sur rue », cela a-t-il encore du sens ? Que pensez-vous de cette nouvelle mode qui consiste à travailler « en bureau » ? Quels intérêts recouvrent selon vous, aujourd’hui, le fait de posséder une vitrine ?
L. R. : Je fais clairement ce métier par passion et je pense qu’un galeriste est avant tout un intermédiaire entre l’artiste et le public. Qu’il s’agisse d’un public de collectionneurs avertis, de critiques d’art, d’artistes ou du grand public. Donc pour moi, c’est essentiel d’avoir pignon sur rue et de pouvoir partager ce que je fais. J’ai besoin de ces rencontres et ces échanges, mais aussi de ce rapport physique aux œuvres et aux gens qui les regardent. Pour vous dire, la galerie se situe non seulement à un angle mais possède également deux vitrines !
F. L. : L’essor de la photographie est de plus en plus exponentiel, dans quelle mesure ceci est-il une bonne chose pour la discipline ?
L. R. : Je pense que tout essor est fondamental. Parce que la photographie a participé à un moment donné à la démocratisation de l’art. Je pense qu’aujourd’hui, le support photographique n’est plus restreint à la seule photographie traditionnelle et a clairement intégré le champ de l’art contemporain. Nombreux sont les artistes qui possèdent une double casquette. On ne compte plus les peintres-photographes ou sculpteurs-photographes parmi les artistes actuels, qui ne souhaitent en aucun cas être rangés dans l’une ou l’autre discipline. Et c’est cela qui est intéressant.
F. L. : A quoi ressemble votre clientèle ? Quelle est la part de collectionneurs avérés parmi vos acheteurs ? Et qui sont-ils ?
L. R. : J’ai une clientèle variée et en perpétuelle évolution. Bien sur, il y a aussi des collectionneurs fidèles et importants qui suivent la galerie et contribuent à son rayonnement en institution, comme à l’étranger. Selon moi, ils participent tout au autant que la ou le galeriste à faire exister le travail d’un artiste et font indéniablement parti de cet écosystème.
Puis, il y a les achats « coups de cœur » et impulsifs, mais je ne distingue pas un type en particulier à travers ma clientèle. D’autant que ça s’équilibre au niveau des pays. Paris est redevenue une place forte de l’art contemporain, et le Marais en particulier. Quand les collectionneurs sont à Paris pour les foires, ils font également faire le tour des galeries du quartier. C’est la démarche du galeriste, sa quête de sens que cherchent aussi à suivre les collectionneurs.
F. L. : De par sa reproductibilité, la photographie est-elle un médium plus délicat à vendre ? Où est-ce au contraire un argument supplémentaire, notamment parce que son prix est a priori moindre en comparaison des autres disciplines ?
L. R. : Selon moi, ça n’est pas un argument. Les gens qui achètent de la photographie viennent pour acquérir une image qui les séduise, un regard qui leur parle. Je crois qu’aujourd’hui, le public est très averti sur ces questions là. Les collectionneurs évidemment, mais les plus jeunes le sont aussi. On sait désormais comment ça marche : c’est un nombre réduit de tirages qui est contrôlé par la galerie, etc. Donc ça n’a jamais véritablement été un débat pour moi.
F. L. : Qui ou que vendez-vous le mieux ?
L. R. : Je ne vends pas un artiste mieux qu’un autre. Je les vends tous en permanence ! Evidemment, lorsqu’il s’agit de l’exposition en cours, l’artiste a une actualité, ses œuvres sont visibles. Par ailleurs, ils peuvent aussi avoir une actualité à l’étranger et deviennent donc a fortiori plus recherchés par les collectionneurs. Mais ça n’est pas parce que l’exposition en cours concerne tel artiste que j’arrête de vendre les autres à ce moment-là.
F. L. : La frontière entre l’art contemporain et la photographie étant de plus en plus mince, comment l’envisagez-vous ? Si vous deviez définir la photographie dite plasticienne, que diriez-vous d’elle ?
L. R. : Pour moi, ce terme n’évoque pas grand chose. D’abord parce que je m’intéresse à la photographie quand elle fait sens. Alors, bien sur, je comprends ce que l’on entend par là : une certaine esthétique, une certaine démarche, s’inscrire dans une lignée ou une école. Pourquoi pas, mais c’est quelque chose qui n’intervient dans mes choix.
F. L. : Quelle foire ou manifestation internationale est pour vous la plus importante et la plus rentable ? Auxquelles participez-vous ?
L. R. : Les plus importantes pour moi sont la Fiac et Art Basel, auxquelles je ne figure pas pour le moment. La galerie participe en revanche à la foire off de la Fiac, Slick Art Fair, qui cette année jouissait d’un bel emplacement puisqu’elle se tenait à quelques pas du Grand Palais, au niveau du pont Alexandre III. C’est une foire de qualité et très rentable. L’avantage des foires, c’est la concentration au mètre carré de collectionneurs qui souvent, sont dans une logique d’achat impulsive et par consequent, beaucoup plus rapide.
F. L. : Il semble que le commissariat d’exposition regagne les galeries peu à peu. Un prolongement naturel d’un art qui se problématise de plus en plus, un moyen pédagogique permettant d’attirer une clientèle parfois moins avertie, et ainsi compenser la surenchère exercée par Internet et les vidéos en ligne ?
L. R. : Je crois que c’est une très bonne idée de faire appel à des commissaires d’exposition. C’est notamment très utile et ça se justifie d’autant plus lorsqu’on présente des expositions collectives car cela permet d’apporter une vision extérieur, un discours neuf sur les œuvres dont le but est de les faire dialoguer entre elles. C’est tout à fait enrichissant. Encore une fois, une galerie, c’est un lieu de partage, d’échange et de rencontres. Il arrive aussi qu’un commissaire indépendant propose de lui-même un projet curatorial sur un artiste en particulier. Là aussi, c’est tout aussi pertinent.
F. L. : Ce qui vous rebute chez un artiste qui vient vous présenter son travail ?
L. R. : Avant toute chose, je regarde le travail. Parce qu’il faut qu’il soit de qualité. Après ce qui me rebute ? Rien !
F. L. : Faut-il avoir déjà exposé ou être reconnu pour faire l’objet d’une exposition chez vous ?
L. R. : Non, il n’est pas nécessaire d’avoir exposé mais il faut avoir déjà une certaine maturité dans son travail. Parce que j’ai un engagement envers ma clientèle. Bien sur, je peux prendre des paris avec des gens très jeunes, mais il faut que je sente que derrière, ces artistes-là ont en eux la capacité de poursuivre leur travail. J’ai besoin d’être rassurée de ce point de vue. Le rapport entre un artiste et sa galerie est un rapport très délicat du fait de cette confiance mutuelle que l’on s’accorde ou non. C’est un lien qui peut être très fragile. C’est une chose difficile pour un artiste de montrer son travail, donc il faut être à la fois dans l’accompagnement et dans l’écoute, tout en conservant son rôle qui est celui de vendre les œuvres. Il arrive parfois que je travaille avec un artiste pendant un an, deux ans avant de monter le projet. De cette manière, on sait si oui ou non on a réellement envie de le présenter ensemble. Il n’y a pas de règle. Si je découvre un artiste qui n’a jamais exposé, cela ne m’empêchera pas de le prendre. De la même façon, ça n’est pas parce que l’artiste aura fait vingt expositions que je l’exposerai nécessairement. Ce qui n’est pas toujours très bon signe.
F. L. : La galerie a plutôt une tendance à presenter des expositions monographiques aux propositions collectives ?
L. R. : Aujourd’hui, je tourne avec cinq à six expositions par an et représente quatorze artistes. Je crois que c’est utile pour les gens de pouvoir rentrer dans l’univers d’un artiste à travers plusieurs de ses oeuvres. En cela, je pense que la monographie a peut être plus de sens en galerie. Mais ça m’est arrivé aussi de faire des collectives. Souvent l’idée me venait après être allée dans l’atelier de différents artistes. Je faisais des recoupements et j’étais curieuse de voir ce que ces correspondances pouvaient donner, rassemblées autour d’une idée commune. L’important, c’est qu’il y ait du sens. Après, solo show ou collective …
F. L. : Aujourd’hui, on achète de la photographie pour… ?
L. R. : Avant tout parce que l’on aime ça. Se plonger dans une vision du monde. Et enfin, pour pouvoir la contempler à sa guise.
Galerie Laure Roynette
20, rue de Thorigny
75003 Paris
+33 (0) 6 08 63 54 41
Du mardi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous
Précédemment :
Luo Dan, Chine in The Eye
Du 31 janvier au 22 février 2014
En cours :
Anne Cindric, Parte Incognita
Jusqu’au 26 avril 2014