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Paris Photo 2024 : ELLES x Paris Photo – Entretien avec Raphaëlle Stopin

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Chaque année, avec le soutien du ministère de la culture et de Kering, le parcours ELLES x Paris Photo met en lumière la création féminine sur la foire. À son lancement il y a six ans, seulement 20 % des artistes sur la foire étaient des femmes. Cette année ce chiffre est monté à 38 % soulignant l’importance de telles initiatives. L’Œil de la Photographie a rencontré la commissaire du parcours de cette édition, Raphaëlle Stopin, directrice du Centre photographique Rouen Normandie et ancienne directrice du festival de Hyères.

 

Quel est le fil rouge de ce parcours ELLES x Paris Photo ?

Ce qui me paraissait intéressant dans cet exercice de sélection d’artistes pour le parcours ELLES x Paris Photo était d’avoir un regard à la fois rétrospectif et prospectif. Regarder du côté de l’histoire tout d’abord, afin de pouvoir faire bénéficier les générations précédentes de cette mise en lumière des artistes femmes. Les artistes d’aujourd’hui, les femmes qui ont développé leur carrière au cours des dix, vingt dernières années bénéficient d’une attention que les femmes ayant travaillé dans les années soixante-dix ou avant n’ont pas eu. Je trouvais important de pouvoir porter une attention accrue envers ces générations et par la même occasion montrer la grande diversité des pratiques de ces artistes, tant dans le champ documentaire par exemple — on peut citer Letizia Battaglia (Italie,1935-2022) et sa photographie à dimension sociale très marquée — ou encore des partis pris expérimentaux très forts comme ceux d’Elisa Montessori (Italie, 1931) ou encore Hisae Imai (Japon, 1931 – 2009). La création contemporaine est aussi très présente, les artistes de 40 ans ou moins représentent environ un tiers des artistes sélectionnées.

 

Dans le parcours, vous observez la création contemporaine au prisme de cet aspect historique.

Regarder vers l’histoire, remettre en lumière des artistes femmes, leur rendre la diversité, la pluralité, la richesse de leurs approches, de leurs expériences, de leurs engagements, permet de mieux informer notre lecture de la création contemporaine. L’idée est aussi de contribuer à ce que la scène actuelle puisse s’ancrer dans un récit de l’histoire de la photographie où les traces et la mémoire sont partagées de manière plus équitable.

Assez souvent, lorsqu’on a voulu remettre les femmes sur le devant de la scène, cela s’est accompagné à mes yeux d’une vision un peu simplificatrice. On les a souvent associées à l’expression de l’intime, des formes nécessairement introspectives, en lien avec le périmètre domestique auquel elles étaient confinées. Par la force des choses, elles se sont beaucoup exprimées sur l’étroitesse de leur condition, et particulièrement avec la photographie, qui est le médium qui a été très largement utilisé par les médias pour figer cette image domestique, sage et rangée. Mais on leur a rarement reconnu une exploration du médium photographique à part entière, avec un geste de création qui puisse faire le choix de ne pas aborder frontalement leur genre et leur condition, de ne pas en faire le sujet de l’œuvre, comme si finalement il fallait toujours, même quand le moment vient de leur reconnaître une légitimité, les ramener au fait qu’elles sont femmes avant toute chose, comme si on avait une difficulté à leur reconnaître d’autres champs d’intérêts possibles. D’une part c’est inexact au regard de ce qu’a été la création faite par des artistes femmes, et d’autre part ça laisse penser que les formes expérimentales, mettant en œuvre la grande malléabilité de l’image photographique, seraient un phénomène contemporain, le propre de la jeune génération. Les artistes aujourd’hui le font avec plus de libertés mais les femmes qui font le choix de devenir artiste aujourd’hui partagent avec leurs aînées une même recherche quant à la représentation du monde, à trouver leur position dans cette recherche, une même exigence. S’engager dans l’expérimentation, s’y risquer, procède d’un désir fort, qui est humain, ce n’est pas le propre d’une époque et encore moins d’un genre, sauf à ce que ce désir soit contrarié et empêché, comme il l’a été longtemps pour les femmes.

 

Cette année, Kering apporte un soutien supplémentaire en offrant quatre bourses à des galeries présentant exclusivement des artistes féminines. Pourriez-vous nous parler des galeries sélectionnées et de leur exposition ?

Le principe était de sélectionner 4 quatre galeries qui exposent pour la première fois à Paris Photo, avec donc des propositions d’artistes femmes, en solo ou en exposition collective.

La galerie romaine Monitor présente le travail d’Elisa Montessori, une artiste peintre née en 1931. Pour Paris Photo, Monitor a fait le choix de présenter des grandes compositions photographiques, des assemblages sous forme de grilles de plusieurs clichés, agencées à la manière d’une cartographie d’apparence presque abstraite. Des fragments noir et blanc très contrastés, presque calligraphiques. Ce que j’ai trouvé intéressant est qu’au premier abord, ce travail des années 1970 semble s’inscrire dans la veine conceptuelle de la photographie mais finalement quand on le met en perspective avec son travail pictural, c’est autre chose qui se joue, c’est une approche presque sensualiste. Toujours en Italie, la galerie génoise Martini & Ronchetti met en avant, avec une très belle sélection à la fois de tirages vintages et modernes, le travail de Lisetta Carmi (1924-2022) et sa série I Travestiti, photographiée à Gênes dans les années 1960. Là encore, ce travail permet de mettre en perspective historique les préoccupations actuelles sur les images ou le manque d’images de la communauté queer. Higher Pictures, une galerie new-yorkaise très engagée sur la représentation d’artistes femmes, propose un group show de plusieurs artistes : Carla Williams (Etats-Unis,1965), Susan Lipper (Etats-Unis,1953) et Janice Guy (Grande-Bretagne,1953) autour de la question du portrait et de l’autoportrait. Chez Carla Williams ce travail est lié à une réflexion autour de l’imagerie collective des pin-ups qu’elle vient remettre en question en tant qu’artiste afro-américaine homosexuelle. Chez Janice Guy l’autoportrait est quant à lui ancré dans le lien à l’art conceptuel européen et la performance dont elle s’imprègne pour remettre en scène le corps féminin et sa liberté, tout en mettant en perspective le médium photographique, sa capacité à enregistrer en tout objectivité, l’appareil photo étant très souvent dans le champ de l’image. Quant à Susan Lipper, c’est sa série Grapevine qui sera montrée. Un travail documentaire sur une communauté de Virginie occidentale qui vit en marge ; des familles que la photographe a engagé dans un projet de portraits d’eux et de leur environnement en les incitant à prendre part à leur mise en scène. Les portraits sont très crus, ils dépeignent une réalité sociale extrêmement dure et sont à la fois très « théâtraux ».

 

Une quatrième galerie, Nadja Vilenne, met en avant une proposition d’Aglaia Konrad qui fait aussi partie du secteur Prismes.

En effet, le parcours réunit l’ensemble des secteurs, du Principal à Prismes et Voices. De même, pour la sélection des 4 galeries, l’une d’elles fait partie de Prismes : Nadja Vilenne, qui présente le travail d’Aglaia Konrad (Allemagne,1960). Aglaia Konrad fait partie de ces artistes qui ont utilisé la photographie, non tant comme le médium de la société du spectacle qu’il fallait retourner contre lui pour construire d’autres images de la femme mais pour sa part technique je dirai. La photographie enregistre, fragmente, permet d’inventorier, de classer, et l’artiste dans un second temps de transformer cette matière, dans des installations et du volume. Sa photographie nourrit une base de données pléthorique d’architecture, de textures, de matières qu’elle va réassembler dans des formes diverses.

 

En marge du parcours, une journée de conférence se tiendra le jeudi 7 novembre. Quelle est sa programmation ?

4 conférences se tiendront pendant cette journée, les sujets qui y sont abordés font écho à ce que j’ai essayé d’aborder dans le parcours : des figures historiques, souvent méconnues, des artistes qui ont utilisé la photographie pour compléter le paysage des représentations, combler des manques et des artistes qui jouent des possibles de la photographie, de sa grande plasticité.

Nous allons mettre en perspective le travail de la photographe américaine Tee A. Corinne étudiée par Charlotte Flint avec celle de Donna Gottschalk qui est étudiée par Hélène Giannecchini et dont l’œuvre va faire l’objet d’une exposition au BAL en 2025, elle sera modérée par l’historienne de la photographie Clara Bouveresse et abordera donc ces deux archives importantes au regard de l’histoire, ou des histoires, de la communauté queer. Dans une autre conférence, modérée par l’écrivaine Simonetta Greggio c’est l’œuvre de Lisetta Carmi qui est mise en regard avec celle de l’écrivaine Goliarda Sapienza, toutes deux nées en 1924, elles ont représenté les marges de la société et n’ont été connues que très tardivement. Enfin, je modérerai une table ronde sur la question de la spatialité possible de l’œuvre photographique, en réunissant Aglaia Konrad, Andrea Grützner et Marleen Sleeuwits tandis qu’une dernière conférence étudiera la collaboration entre Gisèle Vienne et Estelle Hanania dans le domaine de la performance, conférence modérée par l’historienne de l’art Sophie Delpeux.

 

L’ensemble des artistes du parcours sont réunies dans une publication éditée par Paris Photo et qui sera disponible sur la foire. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

En effet, la publication met en avant toutes les artistes présentes sur le parcours, y compris celles des quatre galeries sélectionnées pour la Bourse Kering, soit 50 artistes. Ce document va au-delà d’un simple guide, l’idée était d’en faire un bel objet que les visiteurs aient envie de conserver…On en revient à cette problématique des traces…

 

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