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Paris, la galerie Au Bonheur du jour, une approche érotique

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C’est au cœur de Paris, rue de Chabanais, juste en face de l’ancien hôtel Le Chabanais, l’une des maisons closes les plus connues et les plus luxueuses de Paris entre 1878 et 1946, que se cache une danseuse de french cancan de Toulouse-Lautrec qui se serait acoquinée avec un marin de Jean Genet. Des picotements au ventre, un parfum d’interdit… Une légère fébrilité vous prend en sonnant au n°11. On entre à pas feutrés dans l’unique galerie à Paris — et certainement dans le monde — spécialisée dans la photographie érotique des XIXe et XXe siècles. Paris, ville de tous les plaisirs que le monde entier nous envie. Paris, ville de strip-tease et de libertinage où l’excitation se conjugue à l’érotisme. La galerie Au Bonheur du jour est comme un kaléidoscope du désir parisien et des fantasmes à travers sa collection exceptionnelle d’images érotiques.

La curiosité et la passion ont toujours guidé Nicole Canet qui, après avoir quitté sa Bourgogne natale, est devenue artiste de music-hall. Son intérêt pour la danse s’étant enfui avec une histoire de cœur, elle ouvre un stand au marché Dauphine de Saint-Ouen. Elle propose ses découvertes amassées depuis longtemps : le meilleur de la photographie curiosa du XIXe au XXe siècle, de la peinture et des objets érotiques. Les amateurs étrangers se bousculent, mais le lieu est trop étroit pour qu’elle puisse réaliser ce qui lui tient vraiment à cœur : monter des expositions thématiques pour satisfaire son travail d’archéologue de l’érotisme.

Le 13 avril 1999, elle saute le pas et ouvre sa galerie juste en face d’un des plus hauts lieux de plaisir de Paris, fréquenté assidument par le Prince de Galles. Cinquante-trois ans plus tôt, le 13 avril 1946, était votée la loi détruisant le fichier national de la prostitution, entraînant la fermeture de plus de 1 400 établissements en France, dont 195 à Paris. La Loi Marthe-Richard (qui fut elle-même une prostituée jusqu’aux alentours de 1915) créait aussi le délit de racolage, toujours en vigueur aujourd’hui.

Abritées des regards par des rideaux de taffetas champagne, les expositions de Nicole Canet font date : Fétichisme, photographies de 1880 à 1980, dont les images d’Yva Richard ; Matelots, avec Patrick Sarfati et Raymond Voinquel ; Ethnie Zulu, photographies ethnographiques d’Afrique du Sud, vers 1880, par le photographe Caney B.W. ; Gloedeneries-Caravagesques, avec des images de Wilhelm von Gloeden, Guglielmo Plüschow et Vincenzo Galdi ; Paris interlope 1930-1970, ou les anciennes boîtes de nuit de Montmartre, Pigalle, Saint-Germain-des-Prés et Montparnasse ; Voluptés asiatiques, ou l’art du bondage au Japon entre 1950 et 1960 ; Emil Cadoo et ses photos de nus des années 1960 et 80 ; Athlètes de Cuba, entre 1940 et 1950, pour n’en citer que quelques-unes.

Nicole Canet achète principalement auprès de particuliers qui lui cèdent des photographies retrouvées ayant appartenu à des membres de leur famille. Cette collection uniquement constituée de tirages originaux et rares est exceptionnelle à plus d’un titre. C’est avant tout une passion pour la photographie et un regard arraché à la banalité du quotidien que Nicole Canet entretient depuis toujours. C’est un ensemble qui restitue les mœurs, la société, la géographie de l’amour, du XIXe siècle à nos jours. Un fonds ethnographique autant qu’esthétique sur le désir et ses fantasmes. Ce qui en fait sa rareté, c’est le choix d’images érotiques telles les maisons closes, les nus masculins du XIXe (c’est le baron Wilhelm von Gloeden et Guglielmo Plüschow qui ont, les premiers, photographié des garçons), destinées aux esthètes collectionneurs du monde entier. Les nus académiques étaient réalisés uniquement pour les modèles des artistes peintres. La représentation des corps nus en pays musulman, l’illustration de la pédérastie, de la prostitution et de l’homosexualité au Maghreb, l’évocation de l’esclavage, ou encore des photographies (confidentielles) de bondage, donnent à réfléchir sur l’évolution de notre société et sur son manque de fantaisie.

C’est à la demande de ses érotico-collectionneurs que Nicole Canet s’est lancée dans l’édition depuis 2002 avec la publication d’une vingtaine d’ouvrages richement documentés parmi lesquels : Maisons closes, 1860-1946 ; Décors de bordels, entre intimité et exubérance ; Paris, Province, Afrique du Nord. 1860-1946 ; Le voyage amoureux. Beautés orientales, Ouled-Naïls d’Algérie et courtisanes, 1870-1960 ; Beautés exotiques. Nus féminins, masculins aux XIXe et XXe. Dernière parution des éditions Au Bonheur du jour : Plaisirs et Débauches au masculin, 1780-1940, ou comment les jeux de l’amour et les fantasmes érotiques sont représentés par les artistes.

L’exposition Lehnert & Landrock. Tunisie 1905-1910, actuellement présentée à la galerie jusqu’au 20 décembre 2014, est un retour aux sources puisque Nicole Canet a consacré en 1999 l’exposition inaugurale de sa galerie à Rudolf Lehnert et Ernst Landrock avec Corps et décors. Photographies orientalistes. Tunis 1904-1914.

On y découvre une mise en lumière du Maghreb jamais égalée à cette époque. C’est un voyage orientaliste où les rôles sont distribués. Deux amis, l’un de Bohême, Rudolf Lehnert, le photographe ; l’autre de Saxe, Ernst Landrock, le praticien de laboratoire. Landrock loue un local au 9, rue de France, et c’est Lehnert qui s’en va avec les dromadaires qui charrient ses volumineux appareils et ses plaques de verre… Des oasis aux grandes villes en passant par le désert, Lehnert sillonne le Maghreb pendant dix ans et ramène ses images à Tunis où l’attend Landrock, dans sa chambre noire. Jadis mondialement diffusée, l’œuvre de Rudolf Lehnert était tombée dans l’oubli jusqu’à sa redécouverte dans les années 1980 avec le dépôt, au musée de l’Élysée à Lausanne, en Suisse, des plaques de verre exhumées d’un placard du magasin Lehnert & Landrock qui existe toujours au Caire.

La visite de la galerie ne saurait être complète sans un coup d’œil au fameux boudoir ! En empruntant le couloir tapissé de scènes grivoises anciennes, on arrive dans un salon tendu de rose. Les murs sont recouverts de dessins, de peintures et de gravures, de photographies et d’objets singuliers et érotiques, du XVIIIe au XXe siècle. Dans cette alcôve un peu surannée, les thèmes et les objets évoluent en fonction des expositions présentées dans la galerie. Curiosa érotiques et exotiques : une sélection d’objets rares et d’images d’époque évoque le monde des courtisanes et des odalisques, des prostituées et des gitons, les atmosphères décrites par Sade et Verlaine, Baudelaire et Hugo, Mac Orlan, Carco et Gide, Cocteau et Genet.

C’est un bel hommage au Paris érotique de toujours que perpétue Nicole Canet : Au Bonheur du jour, du désir et de l’amour.

Emmanuel Chaussade

EXPOSITION
Lehnert & Landrock. Tunisie 1905-1910
Jusqu’au 20 décembre 2014
Galerie Au Bonheur du jour
11, rue Chabanais
75002 Paris
http://www.aubonheurdujour.net

http://lehnertandlandrock.net

 

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