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Paris : Images à charge au BAL

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Depuis le 4 juin dernier, et à l’occasion de ses 5 ans, le BAL accueille son premier événément sans œuvre et sans artiste. Images à charge est une exposition consacrée à l’image en tant que preuve dans des cas de crimes ou de violences collectives. Sont présentés onze cas depuis l’invention de prises de vue « métriques » de scènes de crimes au XIXe siècle, jusqu’à la reconstruction d’une attaque de drone au Pakistan en 2012. L’Oeil de la Photographie, partenaire média du BAL, vous offre 10 entrées* pour 2 personnes pour aller voir cette exposition hors du commun.

« Rendre visible l’invisible », 3 questions à Diane Dufour, directrice du BAL et commissaire de l’exposition Images à charge – La construction de la preuve par l’image.   

Images à charge – La construction de la preuve par l’image est la première exposition au BAL sans œuvre et sans artiste. La plupart des images exposées proviennent d’archives (collections de la Préfecture de Police, archives secrètes du NKVD ou de la Royal Air Force…) qui ne sont pas destinées à être exposées dans un espace muséal comme LE BAL. Pourquoi ce choix?
LE BAL  s’est donné pour vocation de penser le rôle des images dans notre société  mais aussi dans notre appréhension de l’histoire. Le statut de l’image oscille trop souvent entre ceux qui croient d’emblée à la réalité représentée par l’image et ceux qui en contestent systématiquement la validité (trop parcellaire, trop subjective, trop manipulable etc…). Nous avons voulu interroger comment des experts ou historiens chargés d’enquêter dans des cas de crimes ou de violences sont amenés à construire des dispositifs pour que l’image « devienne » preuve. La photographie documente la scène où l’action s’est déroulée et rend son résultat visible mais que peut-on vraiment apprendre de ce que l’on voit sur une image ?
L’exposition montre que l’image n’est pas une preuve en soi mais dépend, pour établir les faits, de l’interprétation et de la médiation de l’enquêteur. Pendant 3 ans, nous avons identifié onze cas historiques et contemporains, convaincu les responsables de nous confier les images et invité un expert à décrypter chaque cas pour le public du BAL.

Par ces dispositifs, les criminologues tentent de révéler la substance d’une image, sa vérité et donc ce qu’a priori on ne peut pas voir : comment rendent-ils visible l’invisible ?
Pour devenir preuve, l’image nécessite un travail d’élaboration : Alphonse Bertillon construit l’espace métrique de la scène de crime, Richard Helmer superpose l’image du crâne et les visages de Josef Mengele, le livre de la destruction de Gaza inventorie les immeubles détruits après les attaques israéliennes de 2009. Montage, assemblage, agrandissement, accumulation, le dispositif rend visible au même moment l’acte ou l’identité du criminel et la pensée de l’expert qui veut le confronter.
Le dispositif visuel a donc pour objectif de montrer ce qu’a priori, on ne peut pas voir. La détection de traces de sang sur un linge lavé participe de ce que Reiss appelle la photographie de l’invisible : des signes imperceptibles à l’œil nu, latents, peuvent être révélés par le tirage photographique. Ainsi « des branches cassées ou de l’herbe foulée indiquent la direction de la fuite du criminel, des bris de verre d’une vitre cassée par une balle peuvent indiquer la direction du tir, les nœuds de ligotage peuvent fournir des indications sur le métier du criminel ». Infirmant des pistes ou confirmant des soupçons, ces images doivent permettre de reconstituer en imagination le déroulement de l’événement et les gestes des protagonistes. Dans cette exploration du visible, le médium est interrogé à l’extrême limite du savoir scientifique : des membres de la Société de médecine légale de Paris tenteront par exemple au XIXe siècle d’examiner la rétine d’individus assassinés pour y découvrir la dernière image gravée, celle du meurtrier. Parfois, c’est la matière même de l’image qui est sondée : les silhouettes des victimes de l’attaque d’un drone à Miransha, dans le Waziristan Nord, sont-elles réellement incrustées dans les pixels de l’image vidéo ? La trace d’un cimetière bédouin est-elle lisible dans le grain d’argent d’une photographie du territoire palestinien prise par la Royal Air Force en 1945 ?

En parcourant l’exposition, on traverse un siècle de tragédies, de crimes individuels ou collectifs d’une violence extrême. Chaque image est habitée par la mort. Et pourtant le sentiment d’être relativement préservé de la charge émotionnelle et de la dimension personnelle des crimes domine…
Je pense qu’il y a trois raisons: d’abord l’exposition se concentre plus sur l’image comme moyen d’établir la preuve d’un crime que sur le crime lui-même. Pour les images des camps de concentration réalisées et montrées en 1945 par les américains, connues de tous, le film de Christian Delage présente le cahier des charges précis que devait respecter en cas de « découverte d’atrocités » les opérateurs formés par John Ford. Dès 1942, Roosevelt veut réunir des preuves « crédibles de faits incroyables », des « actes de barbarie » commis par les nazis contre les civils dans la perspective du jugement de leurs crimes. De même, lors de la reconfiguration de la salle de tribunal de Nuremberg en vue du procès, l’écran va occuper une place centrale, entre les prévenus et le juge, attestant de la place prépondérante des images présentées à charge du 4e chef d’accusation « crime contre l’humanité ».
Ensuite, le dispositif induit une forme visuelle « clinique » qui tient le spectateur quelque peu à distance. La distance émotionnelle requise par les jurés pour juger des faits dans un tribunal. L’image telle que produite ou présentée par l’expert ne doit porter la marque d’aucun effet gratuit.  Les graduations qui bordent les images de Bertillon livrent la scène aux déductions mathématiques. Le livre de la destruction de Gaza adopte la forme d’un inventaire rigoureux pour traduire par un constat « froid » l’étendue des destructions (15.000 bâtiments détruits ou endommagés) suite aux attaques israéliennes de 2009.
Enfin le dispositif déshumanise à la fois l’image du crime et la réalité de l’acte criminel. En rationnalisant à l’extrême les données visuelles de la scène, l’image produite par l’expert occulte souvent la dimension personnelle du crime et ce, alors que l’image a justement pour finalité d’identifier la victime des actes de violence et le coupable à l’origine de ces actes. Par exemple, il est impossible de distinguer sur une photographie aérienne, un homme sur le terrain. Beaucoup plus proches du corps de la victime, les clichés de Bertillon adoptent également un point de vue « in-humain » en surplomb, qui veut embrasser d’un coup, bien au-delà de ce que peut voir un enquêteur sur les lieux, tout le champ de la scène du crime. L’accumulation terrifiante des portraits des victimes de la Grande Terreur en ex-URSS, entre 1937 et 1938, ne concentre pas notre regard sur la tragédie vécue par chaque individu, chaque famille, mais révèle l’étendue du crime collectif d’État (750 000 personnes assassinées en quinze mois) et démonte la mécanique aléatoire imparable des exécutions.

* Les participations sont closes.

L’ensemble de la production de cette exposition a été réalisée par le laboratoire partenaire Picto.

EXPOSITION
Images à charge, la construction de la preuve par l’image
Du 4 juin au 30 août 2015
Le BAL
6, impasse de la Défense 
75018 Paris
France
http://www.le-bal.fr

EVENEMENT
Rencontre avec Susan Meiselas et Diane Dufour, Destruction de Koreme, Kurdistan irakien, cartographier les fosses communes.
Le 25 juin 19h au BAL
Réservation et informations : [email protected]

LIVRE
Images à charge, la construction de la preuve par l’image
co-édité par les Éditions Xavier Barral et Le BAL
Relié, 22 x 28,5 cm
240 pages
280 photographies N&B
45€
http://exb.fr

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