Chris Killip, From Within
A la veille du second anniversaire du BAL, l’exposition « What happened » de Chris Killip établissait une distinction entre l’Histoire, construction postérieure à l’événement dont la légitimité vient d’une position de recul et de « surplomb » , de « ce qui arrive », récit subjectif de l’expérience vécue par les protagonistes eux-mêmes. Chris Killip parvient miraculeusement à trouver un point médian, fragile mais bien réel, entre ces deux modes de captation du temps.
Immergé de long mois dans plusieurs communautés (la plage de Lynemouth, le village de Skinnigrove, les chantiers navals de Tynneside…) du Nord de l’Angleterre qui vit , dans les années 80, la désintégration de son passé industriel glorieux, Chris Killip fait corps avec les personnages qu’il photographie. Il connait chacun par son prénom, mime l’accent de chaque quartier; il raconte les dimanches matins sur la plage après la fermeture du pub ou le tatouage orangiste sur le bras d’un ouvrier des chantiers navals interdits aux catholiques, les maisons mises à feu par leurs occupants pour être relogés, la voix victorieuse de Margaret Thatcher à la radio annonçant la mort de Bobby Sands.
Au même moment, son langage visuel abstrait et étrangement froid exclue tout pathos, tout apitoiement, toute fascination. Chris Killip désigne la tragédie (de la vie) sans le drame (le langage). Les corps dos à dos, les regards divergents, les lignes de fuite qui basculent, les silences, le récit « haché » de la séquence du livre « In flagrante », tout dit la fracture, la solitude, le point de bascule.
On pense ici au poème de Wallace Stevens cité par David Chandler dans le beau texte consacré à Paul Graham :
» I was the world in which I walked, and what I saw
Or heard or felt came not but from myself:
And here I found myself more truly and more strange. »
(From Tea at the Palaz of Hoon » 1923)
Diane Dufour
What happened – Chris Killip
Le Bal
Du 12 mai au 19 août 2012
6 impasse de la Défense
75018 Paris – France