« Dès mes premières photographies, j’ai eu la certitude que le monde m’appartenait. Tout, absolument tout, du bateau rouge échoué sur la plage au chat s’élançant dans l’espace, tout pouvait entrer dans la boîte noire, même s’il fallait parfois déranger l’ordre d’arrivée, les plus maigres n’étant pas forcément les plus agiles.
Si je n’avais pas écrit sur la photographie, ou plutôt sur les photographes, j’aurais assez vite arrêté. Il y a toujours comme une insatisfaction avec la photographie, liée à son immobilité, à sa pesanteur, à cette théâtralité finalement inhérente au médium. Mais comme j’ai appris à lire les photographies des plus grands, de ceux qui, dépassant l’obstacle, atteignent l’éternité dans leur viseur, j’ai continué ; espérant des miracles, après tout, sans être un as du lasso, comme Manuel Alvarez Bravo, j’avais quelques atouts.
Les chaises abandonnées dans les rues furent mes premiers sujets. C’était une grande liberté. Aucune permission à demander, et le silence pendant la prise de vues. Après avoir ravi mes amis qui se prêtaient de bon cœur à mes exigences de pose, j’attaquai les inconnus célèbres, croisés au cours de futurs articles à rédiger pour Libération, ou au gré des rencontres.
L’un des plus stupéfaits fut Peter Galassi, alors conservateur au Museum of Modern Art (New York), portraituré à Paris, au Jeu de Paume, – et qui n’en revint pas de me voir avec mon petit Yashica. « Argentique », demanda-t-il, l’air amusé, se raclant légèrement la gorge, comme s’il prononçait le mauvais mot de passe, et que nous allions nous retrouver tous deux bloqués au dix-neuvième siècle, sans BlackBerry (et aucune possibilité de répondre aux mails).
Oui, cher Peter, argentique. J’étendis progressivement mon champ d’action, et l’audace me gagna. Surtout, je pris goût à photographier. »
Brigitte Ollier
La couleur annoncée
Brigitte Ollier et Daniel Boudinet
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