Pourtant, elle sait que c’est sérieux. Enfin, important. Elle sait que je vais lui poser des questions sur son travail, sur son parcours, sur la photographie. Elle sait que je veux savoir. Mais elle ne peut pas s’empêcher de sourire. Ou ne veut pas s’en interdire. Parce que la situation l’amuse : Barbara Rix-Sieff n’aime pas parler de son travail.
« Vraiment, je ne vois pas ce que je peux dire. Puis je préfère que vous soyez libre. Et par libre, je veux dire sauvage. Dénué, dénudé, de codes et de références. C’est mieux de regarder ces corps nus à l’œil nu. Et puis ça n’est pas moi qui suis importante. Mes photos non plus d’ailleurs… C’est le moment où tu attrapes ton sujet, c’est le moment où tu fais la photo qui est intense. Ensuite, s’il se fait que quelqu’un est touché par cette image : oui, ça aussi c’est passionnant ! Mais, on ne peut pas expliquer pourquoi, ou sinon il faudrait suivre une psychanalyse chaque fois qu’on tombe amoureux. »
Alors justement : commençons par l’enfance. Barbara Rix a grandi loin d’elle-même, quelque part sur les bords de la mer baltique, à Kiel, en Allemagne. De cette enfance « parfaitement normale », c’est à dire loin des milieux artistiques, elle va attraper faim. Faim de ne plus être loin. Faim d’être là et d’être impressionnée — au sens photographique du terme.
« En arrivant à Paris, en 1967, vraiment je ne savais rien. Mais rien ! C’est comme si je suis née en traversant une avenue parisienne. Et comme un nouveau-né, mon premier réflexe a été de me nourrir. C’était vital. J’avais tout à rattraper, tout à apprendre d’un point de vue artistique… Mon œil et ma sensibilité n’étaient pas exercés. C’était plus fort que tout, il y avait en moi ce désir de ne pas passer à côté des gens, des saveurs, des paysages… enfin de tout ce qui fait la vie. Je n’avais aucune construction hiérarchique, aucune priorité, aucun plan de carrière ou de vision d’un projet : tout était important. »
Tout. Et plus particulièrement la photographie qu’elle découvre d’abord en étant devant l’objectif. Car Barbara Rix est mannequin. Un mannequin plutôt boulimique qu’anorexique, dont les innombrables voyages et rencontres avec des artistes et des créateurs n’assouvissent pas son appétit de découvertes.
« Pourquoi j’ai commencé à faire des photos ? Je ne sais pas. C’était une évidence. Déjà, parce que mannequin c’est un métier où tu passes ton temps à attendre et qu’en même temps, tout est là : des filles superbes dans des décors de rêve. Et très franchement, même à l’époque, je m’expliquais mal comment, dans ces conditions fabuleuses, certains photographes se débrouillaient pour faire de si mauvaises photos ! De plus, je vivais alors avec Denis Reichle — grand reporter-photographe — et, à son contact, mon œil et ma sensibilité se sont peu à peu aiguisés. »
Puis vient se jour où Barbara pose pour l’un des plus grands noms de la photographie : Jeanloup Sieff. Cette rencontre sera décisive, tant d’un point de vue professionnel que privé, puisqu’il devient son mari et le père de ses deux enfants, Sonia et Sacha.
« Lorsque j’ai rencontré Jeanloup, je faisais déjà des photos. Alors très vite il m’a inclus dans ses projets. La première fois, c’était pour le reportage qu’il devait faire dans la vallée de la Mort, en 1977. Comme Jeanloup fait essentiellement des photos verticales en noir et blanc et que nous devions également réaliser un documentaire pour la télévision, nous avions besoin de formats horizontaux et couleurs. C’est donc moi qui m’en suis chargée. Aujourd’hui encore, il est évident que son influence reste très forte pour Sonia comme pour moi. La photographie était au coeur de notre vie. Nous nous aidions mutuellement à trouver des idées, à nous critiquer, à nous conseiller. J’ai gardé ce rapport avec Sonia. »
Barbara continue donc de travailler pour des magazines prestigieux tel que Marie Claire, Vogue ou encore Harper’s Bazaar… Mais cette fois, c’est de l’autre côté de l’objectif qu’elle se trouve. Pourtant ce métier de photographe de mode n’étanche pas complètement sa soif d’inconnu. Ce qu’elle recherche avant tout, c’est ce contact immédiat avec la vie, seule source de découvertes et d’enthousiasmes qui parvienne à satisfaire ses attentes. Et cette drogue, c’est dans le reportage qu’elle la trouve.
« Ce que j’aime plus que tout c’est, par exemple, de devoir réaliser un reportage sur un pays dont je ne connais rien ni personne ! C’est un sentiment superbe, vertigineux. Tu arrives dans un milieu inconnu et soudain tes sens se réveillent : tu renifles, tu tâtes, tu goûtes, tu cours dans tous les sens… Bref, tu deviens fou ! »
Tout en assumant l’héritage de l’œuvre de Jeanloup Sieff, Barbara Rix poursuit son travail personnel, sensuel et décalé, dont elle n’aime pas (trop) parler.
« Le corps est un de mes sujets d’exploration préféré. Faire une photo, c’est comme traquer une image qui est là, quelque part dans ta tête, tellement présente qu’elle en est presque palpable. Mais pour l’attraper, il faut la complicité d’une lumière et d’un modèle… Mais vraiment, la seule chose qui compte, c’est que je sois touchée, et si quelqu’un peut être lui aussi ému ou interloqué par une image : tant mieux ! C’est pour éveiller cette émotion que j’aime faire des photos. Et c’est peut-être mieux si cette émotion vient seule, sans mots et sans a priori : tel que je l’ai reçue. »
Antoine FANTIN
EXPOSITION
UN NU, Sonia, Barbara et Jeanloup Sieff
Du 4 décembre au 21 décembre 2014
Hôtel de Sauroy
58 rue Charlot
75003 Paris
France
https://www.facebook.com/durevevents?fref=ts
http://www.jeanloupsieff.com