Les photographies de mode — glamour, provocatrices, belles, achevées, magiques — ont toujours été associées à certains des noms les plus célèbres de l’histoire de la photographie, tels Edward Steichen, Horst P. Horst, Erwin Blumenfeld, Irving Penn, Guy Bourdin, William Klein, Helmut Newton et Herb Ritts. Cela a été le cas depuis l’apparition de la photographie de mode au sein de la presse magazine au début du XXe siècle. Les images de mode font partie de notre culture visuelle. Chacune d’entre elles raconte une histoire et nous invite à tirer d’elle un plaisir immédiat, mais résume également une portion des goûts, des aspirations et des rêves de son temps. Le glamour, l’élégance et le sex-appeal sont constamment redéfinis. Pendant les années 1990 en particulier, ils allaient main dans la main avec leurs opposés — le laid, le choquant, le disgracieux, et le difforme — aussi bien chez les créateurs que chez les photographes. « Les photographies de mode deviennent inévitablement des commentaires sur l’idée de ce qui peut être à la mode », écrit Susan Sontag. Et « l’idée » évolue selon l’époque, le médium et le spectateur. Elle dépend de ces trois critères, que l’on accorde plus d’importance à l’attitude du mannequin ou au vêtement lui-même, que la tendance exprimée tienne du mainstream ou de la sous-culture, d’une séduction subtile ou de l’expression d’une sexualité plus évidente. La photographie de mode est souvent paradoxale : elle est à la fois créative et commerciale — produite dans le but de vendre mais également de générer des images progressives, expérimentales, artistiques —, et elle représente à la fois la haute couture et la culture populaire. La photographie de mode peut être regardée comme une forme d’art, mais n’en est pas moins une industrie (une industrie visuelle) qui en sert d’autres (que ce soit la mode, le prêt-à-porter, les accessoires ou les cosmétiques).
Les premières générations de photographes de mode gardaient un certain contrôle sur la production de leurs images, mais leurs créations sont passées peu à peu sous le contrôle d’autres preneurs de décisions : les directeurs photo, bien sûr, mais également les publicitaires promouvant des marques prestigieuses. Le contrôle du photographe est souvent limité : le sujet est imposé, le modèle et le lieu de la séance sont déterminés à l’avance. Les considérations financières prennent tellement d’importance qu’elles l’emportent souvent sur les questions artistiques. Les numéros les plus importants de chaque magazine font l’objet d’une scrupuleuse attention et les contrats des photographes sont rédigés des mois à l’avance. Les directeurs photo des magazines les plus vendus rechignent maintenant à prendre des risques avec des nouveaux venus, et il n’est plus facile pour un débutant de réussir dans ce milieu.
Quand nous regardons la manière dont la photographie de mode s’est développée au cours du siècle précédent, il devient clair que l’impulsion créatrice a survécu à un système favorisant un contrôle de plus en plus serré de la production.
L’éditeur légendaire Condé Nast reconnut très tôt la dimension sociologique et l’énorme impact de la photographie de mode. Avec son talent aigu pour découvrir de nouveaux talents, il promut de nombreuses carrières et exerça de ce fait une influence à long terme sur tout un genre artistique. En s’entourant lui-même de grands artistes, Condé Nast réussit à placer Vogue, en plus de ses autres magazines (notamment Vanity Fair et Glamour, ainsi que les éditions étrangères de Vogue) au premier plan des mouvements d’avant-garde photographiques. Les studios Condé Nast à New York, Paris et Londres sont des laboratoires créatifs, employant des artistes soucieux de capturer et de présenter les joyaux de la haute couture. C’est toujours le cas aujourd’hui, particulièrement pour Vogue Italia à Milan. L’exposition se penche sur 100 ans de photographie de mode. Soigneusement sélectionnés au cœur des archives Condé Nast à New York, Paris, Londres et Milan, plus de 150 impressions d’époque et magazines originaux offrent une opportunité unique de voir le travail de plus de 80 photographes au commencement de leurs carrières, avant qu’ils ne deviennent par la suite les plus grands noms de l’histoire de la photographie de mode.