La photographie est l’une des composantes essentielles du Vogue Italie, qui depuis plus de cinquante ans, témoigne de l’évolution et des révolutions du costume. Il s’appuie sur une formule pensée par les esprits de ses fondateurs, redéfinie au cours des mutations esthétiques incessantes, mais toujours capable d’une magie nouvelle : rendre les histoires éternelles à chaque image. Les narrateurs, ces maîtres-ès photographie qui ont chroniqué au fil du temps l’émancipation des femmes et les évolutions sociales et culturelles, créant pour chaque époque un monde iconographique à part entière.
Vogue Italie a élevé au rang d’art le lien entre l’excellence de la mode et la photographie. La conscience d’un tel accomplissement a naturellement mené à la décision d’organiser le Photo Vogue Festival, festival international entièrement dédié à la photographie de mode, qui se tient à Milan du 22 au 26 novembre 2016. L’Œil de la photographie s’est entretenu avec Alessia Glaviano, doyenne des éditeurs photos du Vogue Italie.
Qu’est-ce qui a motivé la création du Vogue Photo Festival ?
Ma passion pour la photographie m’a amenée à participer à de nombreux festivals dans le monde entier. J’ai remarqué qu’alors que beaucoup étaient dédiés à la photographie documentaire, au photojournalisme, ou à la photo d’art. Il n’existait aucun festival de photographie de mode, du moins pas organisé par un magazine comme le Vogue Italie.
Un autre élément moteur a été le fait que notre monde soit, d’ordinaire, perçu comme exclusif et inatteignable. Il n’est pas facile d’entrer en contact avec les grands maîtres de la photo, les commissaires les plus influents, les agences les plus prestigieuses, les rédacteurs photo, etc. Je reçois chaque jour des centaines de messages de jeunes photographes me demandant des conseils. Je trouve important pour nous d’être là pour eux, mais nous avons tellement à faire chaque jour, qu’il n’est pas facile de répondre à chacun. J’essaie de le faire pour les plus talentueux, mais il me semble que nous devons commencer à nous ouvrir, à créer les conditions d’un dialogue permanent, qui je l’espère se poursuivra au-delà du festival.
Comment voyez-vous la place et l’influence de la photographie de mode au sein de la création contemporaine ?
La relation entre l’art et la mode est ancienne. Les deux se sont influencés mutuellement depuis leurs débuts. La mode constitue après tout une part importante de la culture, voire une culture en soi. C’est une forme d’expression, un langage qui parle d’identité : la mode est notre interface avec le monde. Je considère que la photo comme la mode sont deux langages, qui forment chacun une synthèse de la réalité contemporaine.
Alors, que répondez-vous aux critiques de la mode, qui l’estime superficielle ?
Je suis convaincue que considérer la mode comme superficielle est une vision étriquée : la photographie de mode a servi de nombreuses fois pour des numéros consacrés à des thèmes sociaux. Ma rédactrice en chef, la visionnaire Franca Sozzani, est un exemple parfait, puisqu’elle a publié dans le Vogue Italie de nombreux éditos de Steven Meiseil, qui débordaient définitivement du cadre de la mode pour livrer un message social, comme The Black Issue, Makeover Madness, State of Emergency, Water and Oil, et de nombreux autres.
Certaines images – en photo de mode – transcendent une sensibilité purement commerciale. Bien sûr, quand le magazine paraît en kiosques, nous promouvons un produit, car les vêtements présentés dans les articles le sont aussi en boutiques. Il est toutefois également vrai qu’après quelques mois, l’aspect commercial de la photo de mode n’existe plus : les habits ne sont qu’un accessoire dans l’image. Or, lorsque les images transcendent les vêtements, elles touchent à l’abstraction, devenant une synthèse visuelle, symbole essentiel de la mémoire collective d’une période historique, sociale et culturelle (une qualité que tout grand art devrait avoir, après tout). La grande photo de mode peut transcender et supporter l’épreuve du temps. Voyez Richard Avedon ou Irving Penn : les images qu’ils ont créées pour Vogue recouvrent désormais les murs des musées les plus prestigieux.
Qu’est-ce qui a changé dans ma mode depuis la grande époque Avedon et Penn ?
Prenez par exemple la révolution à laquelle nous avons assisté sur Internet et les réseaux sociaux, dans la façon de représenter le corps de la femme et la sexualité : nous voyons enfin une plus grande variété de beautés, une représentation moins exclusive, qui rend compte de la singularité et de la complexité de chaque être humain. Les corps sont réels, authentiques, représentés avec tous leurs signes et leurs imperfections, non plus considérés comme des « erreurs » à retoucher, mais plutôt comme les éléments magnifiques qui forment l’unicité d’un individu. Ces images contribuent à défaire les codes d’une culture – et touchent aussi les arts – ancrée dans les stéréotypes du genre et dans une vision phallocentrée, qui célèbre des modèles de beauté inatteignables et figés. Autre révolution : nous pensons et voyons enfin en dehors du point de vue occidental mondialisé, par la contribution de nombreux artistes passionnants venus du monde entier. Il est grand temps de nous débarrasser de notre vision provinciale et ethnocentrée, pour reconnaître enfin la richesse et la beauté d’autres cultures.
En quoi la carrière de votre père a-t-elle influencé votre sentiment à l’égard de la photographie de mode ?
Je suppose que ma connaissance de la photographie et ma curiosité en général m’ont préservée de me retrouver sous « l’influence » d’une seule vision. J’ai beaucoup appris de mon père, notamment la dévotion absolue à notre passion commune. Je me sens bien sûr privilégiée d’avoir grandi dans une famille d’artistes (ils sont nombreux, peintres, sculpteurs) entourée de culture.
Mon père a connu toutes les révolutions esthétiques des cinquante dernières années, comme si elles constituaient une toile de fond sur laquelle il projetait sa propre vision. Il a exploré la beauté sous des formes diverses et variées : portraits, photos de mode et photos publicitaires, mais aussi nus ou paysages. Sa quête est obsessionnelle et passionnée, comme si la beauté, l’illusion de la perfection, pouvait mettre de l’ordre dans le chaos du monde et au sein de l’esprit. Cette rigueur esthétique a produit au cours des ans des images qui ont passé l’épreuve du temps et de la mode. Je crois aussi que si l’on regarde en arrière, sa vision et ses photos apparaissent fondamentales dans la définition de l’esthétique des années 1980 en photo de mode.
Propos recueillis par Myrtille Beauvert
Alessia Glaviano est la fille du photographe de mode Marco Glaviano.
Photo Vogue Italia Festival
Du 22 au 26 novembre 2016
En plusieurs sites de Milan, Italie