Pour sa 7e édition, le festival Photomed, prend une nouvelle dimension. A Sanary-sur-Mer, l’Île de Bendor et l’Hôtel des Arts de Toulon, s’ajoute Marseille dans quatre lieux : la Friche la Belle de Mai, le Mucem, la Villa Méditerranée et le FRAC. Regarder et penser les villes, tel est le thème de la partie marseillaise du festival.
Du XIXe siècle jusqu’à nos jours, la photographie n’a jamais cessé d’entretenir une affinité avec la ville. Cette dernière est un sujet classique. La raison en est sans doute que l’invention de la photographie est concomitante du développement de l’urbanisation. Elle a du moins témoigné de toutes ses phases de développement : de la ville encore mêlée de campagne, conviviale et pittoresque, où fraternisent les hommes, telle que l’ont photographiée Robert Doisneau ou Willy Ronis, à la ville-monde contemporaine, incroyablement contrastée, juxtaposant de magnifiques réalisations architecturales dispendieuses et d’infinies banlieues sans charme. Plus d’habitants ici mais ce que Sartre nomme une « pluralité des solitudes ».
Cette mutation de la ville s’est accompagnée d’une évolution de la pratique photographique : sous l’influence des Becher, l’approche subjective des photographes humanistes a laissé la place à une pratique objectiviste, neutre et méthodique, dont Stéphane Couturier ou Andreas Gursky sont de célèbres représentants. Ce courant est devenu si puissant à partir des années 90 qu’il a submergé les réfractaires, tels Ferruccio Leiss à Venise ou Mimmo Jodice à Naples, au point qu’une grande critique comme Dominique Baqué a pu écrire en 2004 que leur approche était « hors Histoire ».
Pourtant, de la même manière que tout pouvoir finit par susciter un contrepouvoir, toute hégémonie artistique est vite contestée. Sans doute n’est-ce pas un hasard si c’est chez les artistes méditerranéens que cette résistance est la plus forte. L’art ne fait que traduire ici l’opposition économique et culturelle entre pays du Nord et pays du Sud. Alors que les écoles germanique et américaine promeuvent une photographie clinique, de nombreux artistes méditerranéens privilégient une approche sensible.
C’est ce que j’ai voulu montrer à travers une série d’expositions consacrées à Tanger, Alger, Beyrouth, Eboli et Marseille. Même quand ils empruntent certains des codes stylistiques de l’école de Düsseldorf (rigueur de la composition, netteté et précision des images, frontalité, approche sérielle, etc.), ni Anne-Françoise Pélissier, ni Giasco Bertoli, ni Hicham Gardaf, ni Joe Kesrouani ne renoncent à une certaine poésie. Le regard qu’ils portent sur une ville ou un lieu reste éminemment personnel. Alain Gualina et Yves Jeanmougin s’inscrivent, eux, résolument dans la ligne d’une imagerie quotidienne, chaleureuse et nostalgique. Leurs photographies rappellent celles de Marc Riboud ou d’Édouard Boubat, deux artistes classiques présentés dans des éditions passées de Photomed. Maude Grübel et Mickael Soyez mélangent vues urbaines, portraits, détails et paysages, atteignant ainsi une forme de lyrisme, tandis que Sirine Fattouh varie les points de vue comme si l’allure générale d’une ville ne se laissait saisir qu’à travers des fragments. Antoine D’Agata et Franck Déglise ont fait quant à eux le choix de l’intime, d’un travail qui s’inscrit dans le fil d’une vie.
C’est de sa vie aussi que témoigne Bernard Faucon à travers trois vidéos centrées non tant sur la ville que sur la route, mais qui ont en commun avec plusieurs photographes exposés le nouage serré entre image du monde et image de soi, entre l’acte de montrer propre aux arts visuels et l’acte de narrer généralement considéré comme romanesque. Autant dire qu’il y a bien souvent de la fiction en photographie, fût-elle urbaine, et qu’il n’est pas surprenant que beaucoup d’écrivains contemporains aient gardé leur appareil à côté de leur stylo. Hervé Guibert est l’un d’eux. De l’Andalousie à Palerme en passant par Rome et l’île d’Elbe, il fut à sa manière un photographe méditerranéen, en quête non tant d’une hypothétique vérité du monde que d’une incertaine vérité de soi, c’est-à-dire de son désir. N’est-ce pas au bout du compte le lot de tout artiste voyageur, comme de tout curieux ayant rencontré les cimaises d’un festival au hasard d’une errance dans la grande ville ?
Guillaume de Sardes
Guillaume de Sardes est un photographe, écrivain, historien de l’art et commissaire d’exposition français.
7e édition du festival Photomed à Marseille, Regarder et penser les villes
Du 17 mai au 14 août 2017
Lieux d’expositions :
- Villa Méditerranée, Esplanade du J4, Marseille, Entrée libre
- Frac Provence-Alpes-Côte d’azur, 20 boulevard de Dunkerque, Marseille, Entrée libre
- Friche la Belle de Mai, 41 rue Jobin, Marseille, Entrée libre
- MuCEM, 7 promenade Robert Laffont, Esplanade du J4, Marseille, Entrée libre