Photographier est pour Olivier Denis un moyen d’expression, de contempler et saisir la vie avec bienveillance. Et pour ne garder que l’essentiel il a choisi la poésie du noir et blanc. Dans son univers, la couleur nous aurait distraits de l’histoire qu’il veut raconter. Pour lui, photographier c’est aussi manifester son intérêt pour l’autre, saisir une rencontre, un lieu, un regard. C’est ainsi qu’il a appréhendé « Femmes dans la tourmente » une série captivante au travers de laquelle le photographe explore la résilience et la vulnérabilité des femmes face à l’épreuve de la maladie. Chaque cliché raconte une histoire unique, dévoilant des moments de lutte et d’introspection. Cette série est une ode à la capacité des femmes à trouver la lumière dans l’obscurité et à se redresser malgré l’adversité, capturant l’âme humaine avec une émotion brute et authentique.
Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser la série « Femmes dans la tourmente » ?
Olivier Denis : A l’adolescence, mon fils a été touché à un stade avancé par un très grave cancer. Durant cette période extrêmement difficile, je m’étais promis de faire quelque chose en faveur de la lutte contre les cancers s’il s’en sortait. Il a été hospitalisé 14 mois durant lesquels il a été pris en charge par une équipe médicale qui a tout tenté, y compris les derniers traitements disponibles, les nouvelles avancées technologiques en matière de radiothérapie et des opérations chirurgicales. Et, il a été sauvé. Hélas dans la foulée, mes deux sœurs et mon épouse ont à leur tour été touchées par cette terrible maladie. J’ai par conséquent accompagné quatre de mes proches non-stop pendant 4 ans et demi dans lutte quotidienne contre le cancer.
Il est donc pour moi devenu une évidence d’effectuer ce travail. J’aime les femmes, je suis proche d’elles car elles tirent les hommes vers le haut. Elles me touchent toutes peu importe leur âge, leur physique.
Quel a été votre truc pour mettre ces femmes en confiance ?
Olivier Denis : J’ai tout d’abord commencé par longuement échanger avec elles. J’en ai rencontré près de 300, mais à ce jour seules 80 d’entre elles font parties de ce projet. Je connais l’histoire de chacune, certaines m’ont d’ailleurs confié des choses dont elles n’avaient jamais parlé à personne. Je n’ai a proprement parlé pas mis en place un « truc » particulier, j’ai simplement mis à leur disposition 30 ans de rapports humains. J’ai aussi voulu qu’elles puissent voir dans mon œil de photographe et d’homme que je les trouvais belles. Je leur disais également que je ne m’arrêtais pas à leur cicatrice mais je les regardais dans leur ensemble, dans toute ce qu’elles dégageaient. Et j’y voyais à chaque fois de très belles choses, au-delà de leurs complexes. Je dirais que je leur ai tendu la main à un moment où elles en avaient besoin.
Que peut apporter ce regard artistique sur cette maladie dont souvent en n’ose pas parler ?
Olivier Denis : Il apporte déjà un vrai regard. J’ai mis en lumière des femmes trop souvent invisibilisées par la société. La maladie dans notre société est une chose encore trop honteuse, personne ne montre des femmes atteintes d’un cancer, d’ailleurs au point qu’elles même ne veulent pas se montrer. J’ai contacté pour ce travail une grande partie des magazines nationaux, mais aucun n’a souhaité écrire un article et relayé ma démarche, voilà la réalité. Pourtant ce sont les corps de celles que nous aimons, nos amies, nos collègues, nos femmes, nos sœurs, nos mères, parfois nos filles, et cela n’arrive pas qu’aux autres, ne l’oublions pas.
Ce que je voulais surtout au travers de cette série c’est lever les tabous sur le cancer, sur le corps des femmes qui n’est montré que lorsqu’il est jeune pour vendre des savonnettes, des voitures, des tondeuses à gazon ou bien d’autres choses ! Je voulais également permettre à toutes ces femmes touchées par la maladie et qui se cachent, de s’identifier à certaines de mes modèles et de se sentir moins seules. J’ai fait de ces femmes malades, des héroïnes. Beaucoup se sont revues belles, ont repris confiance en elles, ce qui leur a permis de reprendre leur vie en main, et me témoignent une gratitude infinie.
Comment les gens ont-ils réagi à vos images en découvrant l’expo ?
Olivier Denis : Les visiteurs sont extrêmement touchés, certains se présentent à moi pour me dire : « Je suis médecin, je suis oncologue, je suis radiologue, je suis infirmière, je suis psychologue… mille mercis pour elles, pour nous, vous nous montrez ces femmes comme on ne les a jamais vu. ». Certaines de ces personnes m’ont même demandé des conseils pour savoir comment s’améliorer dans leurs consultations. J’ai également vu des hommes pleurer devant mes clichés. Les femmes me remercient et les maris me photographies avec leurs épouses.
Certaines personnes touchées par la maladie d’une manière ou d’une autre, m’ont fait remarquer que contrairement à beaucoup de gens, je m’intéresse à ces femmes alors que plus personne ne les regarde et cela les touche énormément.
Et enfin il y a quelques jours, un homme me disait « Il y bien longtemps que je n’ai pas vu une exposition qui provoque autant d’émotions, j’ai pris une claque ». Ce fut pour moi une des plus beaux compliments que j’ai pu recevoir.
Exposition « Des Femmes dans le Tourmente »sur les grilles de l’Orangerie du Sénat jusqu’au 11 août.
Instagram : olivier_denis_photographe