Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Déjà cinquante chroniques mensuelles, avec celle-ci, se sont glissées dans l’Œil de la Photographie. Ce n’était pourtant pas évident pour ce qui me concernait. Le jour où Jean Jacques Naudet, dans un coin reculé de Provence, m’a demandé de rédiger une chronique exclusive dans sa revue, j’ai souri et refusé cette offre alléchante, surement très convoitée pour nombre de prétendants. Mes raisons étaient objectivement nombreuses (manque de temps, compétences incertaines, qualité rédactionnelle, nombre de sujets, désintérêt pour les personnalisations, etc.). Puis, j’ai poliment succombé sous les arguments aussi nombreux qu’hétéroclites déroulés avec beaucoup de savoir convaincre. J’ai consenti à faire une première, en test, à titre très expérimental. Une seconde chronique, même hypothétique, était par avance, pour ce qui me concerne, non envisageable. C’est ainsi que l’histoire du doigt dans un engrenage était en route ! Mes deux seules conditions, acceptées par la rédaction, concernaient mon choix indépendant des sujets et la pose d’un petit lien, en fin de lecture, pour des retours directs pour les lecteurs qui le souhaitaient.
Chapeau bas aux très nombreux lecteurs qui non seulement lisent mes élucubrations photographiques ; mais, qui rédigent avec soins des apports personnels comme illustrations du propos, comme développements des idées présentées ou encore comme commentaires pertinents. Gratitudes au directeur de rédaction et à Gilles Decamps, le rédacteur en chef. Le premier pour sa pugnacité à obtenir la réalisation de ses projections personnelles, à travers les autres. Le second pour sa bienveillance exceptionnelle pour corriger mes coquilles (quand ce n’est pas pire), pour restaurer des crédits erronés ou pour percevoir et anticiper des erreurs à travers ses grandes compétences en matière de photographie.
Comme vous le savez, même très méritées, mes distributions de fleurs sont rares et les histoires de l’Histoire sont de ces nostalgies qui me sont étrangères. Toutefois, il est hors de question que l’oubli soit de mise !
Comment un sujet arrive — sur le tapis — pour devenir le point de départ d’observations et susciter quelques interrogations à la fin du déroulement d’une chronique ? Très souvent, c’est actualité qui prime avec l’arrivée dans notre société photographique de matériels, de conceptions, de propositions ou d’interférences susceptibles de modifier les cheminements tumultueux, voire de mettre à mal la logique photographique. Nous voyons passer de tout et plus encore par des usurpations jusqu’aux diverses formes d’arnaques. C’est ainsi que de la NFT à la prétendue IA, de l’uberisation des photographes aux détournements des droits, des expositions bidons aux jurys fantomatiques, des scénographes abscons aux publics niaiseux, rien ne nous a été épargné. Ainsi, nous avons pu partager des champs de réflexions pour anticiper les choix qui construiront le futur de l’univers photographique.
Tous ces sujets qui génèrent des inquiétudes, des révoltes, des espoirs, des rejets, voire des enthousiasmes, m’arrivent tout naturellement pour être captés, analysés et retenus par ma curiosité ouverte tous azimuts. Il arrive aussi que la perspicacité d’untel me suggère un objet de chronique pertinent et pris en charge, bien entendu.
Il va de soi que toutes mes propositions de réflexion, toutes mes ironies et autres indignations s’appuient sur des preuves glanées au plus près du sujet mis sur la sellette.
Comme cela est mentionné, ci-avant, les chroniques engendrent, un certain nombre de commentaires dans les deux versions linguistiques de la revue. Coté âge des commentateurs, comme pour un certain journal (de 7 à 77 ans), l’éventail est très large, mais décalé d’une dizaine d’années. Une moitié de commentaires proviennent du secteur des 50-65 ans, très souvent des professionnels qui ont bénéficié d’une véritable formation technique pour maitriser la photographie sous ses nombreux aspects. Ils exercent, au quotidien, dans des conditions de plus en plus difficiles. L’effondrement économique des diverses professions de photographes alors que la production d’images est de plus en plus envahissante. Les coûts de production de plus en plus élevés dans une course technologique qui a pourtant atteint ses limites pour la perception humaine. Les rémunérations pitoyables qui ne couvrent que difficilement les frais engagés, même pour les signatures les plus prestigieuses. Les clients pas toujours (voire fréquemment) malhonnêtes qui cassent les prix de façon éhontée, avec ce chantage devenu répétitif : « … si vous ne pouvez pas, nous les ferons nous-mêmes (pour les photographies), ce n’est pas sorcier … ». Lorsque ces voyous ne doublent pas la prise de vue dans le dos du photographe. Leurs résultats ressemblent à des horreurs totales ; mais, sans importance puisque le petit malin est un incompétent absolu (surtout pour la lecture d’une image). Ainsi va la vie de nos collègues encore dans les circuits commerciaux.
Les plus âgés, encore dans le circuit, s’adonnent à la photographie, dite créative ou plasticienne, parce que leur passion du travail avec la lumière reste chevillée au corps. Contrairement, à des idées reçues répandues par les pseudo-avant-gardistes, très peu de nostalgie dans leurs propos, souvent très bien documentés. Leur inquiétude, très partagée, prend naissance dans l’avenir économique incertain pour les jeunes vrais photographes qui éclosent, même pour ceux qui sont possesseurs de talents évidents. Pour le reste, ils sont plutôt goguenards devant tous ces monts et merveilles annoncés qui se dégonflent, plutôt rapidement, comme des baudruches percées.
Il reste les jeunes lecteurs qui souhaitent s’exprimer. Les temps changent, l’écrit maitrisé s’estompe et l’échange téléphonique prévaut dans une expression plus directe. Ils finissent des études onéreuses (généralement peu satisfaisantes à leurs yeux) ou sinon ils sont confrontés aux réalités d’une activité professionnelle depuis trois à cinq ans. Les temps sont durs, les lois sociales ont détruit cette transmission par immersion avec un maître photographe. La subtilité d’un savoir et la compréhension du génie contre le balayage du studio, les courses au laboratoire, le transport du matériel, les préréglages ou la petite heure devant la glaceuse sont partis en virtualité numérique. Le stagiaire doit être payé, il exige donc naturellement d’être payé (surtout s’il ne sait encore strictement rien faire). Pour les raisons économiques, déjà exposées, le studio ne peut plus payer. Le ridicule ne tuant plus, les jeunes sont sur les trottoirs désœuvrés et les photographes dans les studios en manque d’assistants et de successeurs, pour demain.
Néanmoins, il est évident qu’il n’existe pas d’exception particulière pour la photographie, être photographe oblige à des devoirs avant d’en revendiquer des droits.
Tout cela est fort sympathique, mais ces chroniques n’enfoncent-elles pas des portes ouvertes pour finir en coup d’épée dans l’eau ? Ce n’est peut-être pas vraiment comme cela.
Cette chronique permet d’ouvrir quelques portes pour découvrir les prémices de situations qui réclament de l’attention. Comme quelques exemples sur lesquels nous nous sommes penchés.
Cette volonté de prendre tous les photographes du monde dans un gigantesque filet pour soi-disant organiser un monopole de cette profession. Mauvaise appréciation parce que la technique photographique nécessite un minimum de cervelle, ce qui n’a pas été le cas pour un permis de conduire ou pour un pédalier de vélocipède.
La transformation de la création photographique en usine de spéculation sur l’inimaginable, le tout payable avec de l’argent aussi fictif que la propriété des images dématérialisées. Après les pertes sèches de quelques millions (dollars et euros confondus) par des « peoples » très en vue, le piège spéculatif s’essouffle.
Pour ce qui est de la conception binaire, dite IA, il nous faut attendre un peu. Les nombreux envois que j’ai reçus, et prétendus superbes, étaient tous d’une pauvreté navrante, bourrés d’incertitudes graphiques inacceptables par un cerveau humain. Il est possible d’essayer de tromper un raisonnement, beaucoup plus difficile de feinter une émotion sensorielle. Souvenirs, souvenirs, cela me rappelle les collages « seccotine » des années 1960 qui sévissaient dans les milieux artistiques et trônaient dans quelques galeries, en fonction de la signature accolée.
Il est patent que les constances de l’Homme sont inexistantes, au regard des règles incontournables de la Nature. Ce qui explique, en permanence, le nombre d’inepties qui s’épanouissent dans les bandes à Panurge pour s’engloutir d’elles-mêmes dans les flots des réalités de la Vie. Gardons le cap, malgré tous ces remous, le Graal photographique nous attend !
Clin d’œil à Stephen, Caroline, Kim, Arthur, Marianne, Lucy, Anne, Erik, Benoit, Berry, Donatien, Ana, Paul, Patricia, Henny, Hugh, Patrick, Mark, Neal, Yaël, Maurice, Lionel, Pasqui, Soren, Valérie, Ellen, Lynn, Didier, Andy, Raphaël, Syene, Etienne, Serge, la nombreuse bande des divers Michel, tous excellents photographes, sans oublier la multitude des autres passionnés, tous si prompts à me faire des retours.
Thierry Maindrault. 09 août 2024
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