La foire japonaise T3 Photo Fair Asia tenait sa première édition du vendredi 18 au lundi 21 octobre. Dans le vaste vaisseau du Midtown Yaesu, elle rassemblait des galeries japonaises et coréennes, avant de s’ouvrir l’année prochaine à d’autres scènes historiques comme émergeant du continent asiatique.
Arpenter une foire demeure un exercice subjectif. Qu’on soit collectionneur ou grand amoureux, on va de galerie en artiste, d’artiste en œuvre comme on sauterait dans un festival d’une scène à l’autre, l’oreille grand ouvert, l’esprit tendu pour l’horizon des découvertes. S’en faire l’écho, c’est nécessairement en frustrer quelques-uns, en louer d’autres, s’amouracher en somme, et rester aveugle à d’autres.
Hiroshi Nomura à la galerie Poetic Scape (Tokyo)
La série « Doppelopment » d’Hiroshi Nomura (Japon) est nommée d’après la contraction de deux mots (Doppelgänger qui désigne une hallucination de soi-même en un autre et developpement en anglais qui rappelle l’idée de l’essor comme la technique photographique). Doppelopment, ce mot forgé de toutes pièces est chez Hiroshi Nomura à première vue tout sauf savant.
La série exposée par la galerie tokyoïte Poetic Scape montre deux jumelles dans scènes du quotidien : tantôt jouant à même le sol, d’autre fois plongées toutes deux en exploration, une lampe de poche à la main. Dos à dos comme pour inviter au jeu des sept différences. Posant de plain-pied dans la rue. L’une jouant concentrée du piano, l’autre espiègle tirant la grimace. En somme des scènes banales, capturées par Nomura dans une grande simplicité, et que la présence double des jumelles rend légèrement étranges.
Ces jumelles, toutes de joies et de simplicité, pleines d’amour, seraient l’opposée de l’inquiétant souvenir des soeurs sanguinolentes de Shining. Mais ce qui les lie peut-être à Kubrick, et plus encore au mensonge constant de la photographie, c’est qu’elles sont deux à l’image, et une dans la réalité.
Par le jeu de la double exposition, dans un assemblage savant, absolument exquis à déceler (si on sait le faire, ce que je ne peux), Hiroshi Nomura s’est amusé avec sa fille Hana à composer ses scènes factices, jouant de l’envers de Diane Arbus ou encore de Shigeo Gocho. C’est un travail admirable de tendresse, exquis dans son mensonge.
John Yuyi, secteur Emergence : « Discover New Asia: Exploring Artistic Self-Discovery with Four Women »
John Yuyi, de son nom Chiang Yu-Yi (Taïwan) est l’une des étoiles de la photographie de la mode actuelle. Son éclat fut révélé par sa série « Becoming Famous » forte de visages de célébrités tatouées d’autocollants, puis dans sa suite avec la série « Face Post » aux visages cette fois marqués de slogans et autres messages publicitaires à saturation.
Nulle saturation, nulle abondance dans les quatre tirages montrés dans la courte mais bien pensée séquence dédiée aux artistes asiatiques de la « nouvelle Asie ». Mais un grand ciel bleu sibyllin qui unit l’ensemble et un corps nu au premier plan, divisé en trois morceaux ; tête, poitrine et fesse avec en arrière-plan, des silhouettes floues, des corps dénudés qui suivent le corps au premier plan comme le feraient des marcheurs sur le flanc d’une colline. On ne sait pourquoi, le tout donne cette impression de légèreté, de joie, d’érotisme sans conséquence, sans désir même, autre que le geste de l’affranchissement.
Limb Eung Sik, « sélection Masters » et à la Galerie Yeh (Séoul)
Né au Japon en 1912 et mort en Corée du Sud en 2001, Limb Eung Sik incarne par ses images et son approche photojournalistique l’histoire tourmentée entre ses deux pays. Il est aujourd’hui considéré comme une figure majeure de l’histoire photographique coréenne. À juste titre puisqu’il contribua à amener en 1957 à faire voyager l’exposition « The Family of Man » d’Edward Steichen au Musée national d’art moderne et contemporain de Séoul en 1957 (L’exposition rassembla plus de 300 000 personnes !).
D’abord photographe de salon et de portrait, il devint photographe de terrain pendant la Guerre de Corée (1950-1953). Ses images adoptent une forme de réalisme où se mâtinent les influences humanistes de Cartier-Bresson. Ses œuvres sont présentes à deux endroits dans la foire : d’abord très largement par la galerie coréenne Yeh ainsi que dans une présentation pensée par la directrice de la foire, Jeong Eun Kim.
Kijuki Kawada, Photo Gallery International (PGI) (Tokyo)
Photo Gallery International est l’une des galeries emblématiques de cette foire. Au côté d’Emet Gowin, Edward Weston ou encore Harry Calahan, elle défend les grands maîtres japonais comme Yasuhiro Ishimoto et Kijuki Kawada. Ce dernier, fondateur du collectif VIVO en 1959 avec Akira Sato, Akira Tanno, Shomei Tomatsu, Ikko Narahara and Eikoh Hosoe. Ses œuvres saturées, pour la plupart sombres contrastent avec un tirage d’une grande lumière, un corps féminin remontant à la surface d’une piscine. Comme un salut dans une œuvre tourmentée comme clairvoyante.
Hideka Tonomura, Zen Foto Gallery (Tokyo)
Le public arlésien a rencontré Hideka Tonomura (Japon) cet été à l’occasion de l’exposition « Transcendence », dans le labyrinthe de la maison Vague. Son installation demeurait, à mon avis, l’œuvre éclatante de cette exposition-myriade, ses petits tirages aux couleurs une installation pleine de gravité, sans fard dans sa manière de montrer le corps, la sexualité marchandée, les peines du quotidien, les errances propres à chacun. Son style quelque peu insaisissable, faits de filtres, de couleurs appuyées, couleurs chair ou sang, sinon d’un bleu médical et son éloignement du sujet par le mouvement, le flou donnent à ses œuvres une impression générale de grand tourbillon. Les œuvres récentes montrées par la galerie Zen Foto s’inscrivent dans cette veine, avec toujours le même charme poisseux.
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