Max Pinckers le metteur en scène, Lorenzo Meloni le reporter de guerre, Newsha Tavakolian l’insider, Richard Mosse l’expérimentateur, Carolyn Drakela lyrique et Matt Black le classique : les six nominés 2015 de Magnum couvrent le champ des propositions documentaires actuelles. « Pour nous, ce millésime est vraiment représentatif de Magnum, avec cette perpétuelle tension, complémentaire, entre journalisme et art », explique Antoine Kimmerlin, manager éditorial de Magnum Paris. Les reportages se font transmédia, les photos de guerre sont affichées aux cimaises, les sujets participent à la narration, et l’abstraction éclaire les faits. Le photojournalisme se redéfinit en termes d’écriture et de marché et l’agence est déterminée à suivre cette tendance. « Cette sélection est la preuve du dynamisme de l’agence et de sa confiance dans l’avenir », ajoute Antoine Kimmerlin.
Ces six photographes, auxquels on pourrait ajouter certains nominés des années précédentes comme Michael Christopher Brown et Sohrab Hura, ont de quoi inspirer la génération actuelle de photojournalistes. L’image s’émancipe des pages réductrices des journaux, avec leur format texte/légende/photographie. C’est le sujet qui guide la forme. Parfois meme, c’est le sujet qui raconte l’image, comme quand Carolyn Drake avait voyagé avec une trousse remplies de feutres, de ciseaux et de colle pour que les gens qu’elles avaient photographiés ajoutent leur touche à ses portraits. Le livre, souvent auto-publié, offre une alternative aux pages glacées des magazines ou éphémères du Web, et un nouveau rythme. Carolyn Drake favorise l’expérience, jusqu’à la radicalité de son premier livre, Two Rivers, dans lequel ses photographies couraient de rectos en versos, coupées par les pages comme bousculées par les vagues calmes d’un fleuve. Elle l’associe au texte, non littéral, comme le poème qui donne le titre et la structure a son deuxième livre, Wild Pigeon. Le livre est un lieu d’expérimentation narrative, et la tendance est au rejet de la compilation d’images. C’est aussi un support privilégié de Max Pinckers, qui vient d’ailleurs de fonder une maison d’édition indépendante, Lyre Press.
Et quand il documente, Max Pinckers n’hésite pas a jouer de la mise en scène et des références cinématographiques pour ancrer ses clichés dans un contexte social et culturel. Tous sont photojournalistes et n’ont pas été freinés par l’étiquette. Richard Mosse n’a pas hésité a utiliser un film infrarouge pour rendre compte d’une réalité invisible de la guerre civile en République Démocratique du Congo. Ses larges paysages uniformément roses dont se détachaient ce qui semblait être des soldats de plomb illustraient la véhémence des chasses a l’homme dans les vastes savanes boisées du pays. Newsha Tavakolian a d’abord été interdite par le régime iranien de pratiquer le photojournalisme. Qu’a cela ne tienne, elle a développé un langage artistique d’autant plus dénonciateur. Matt Black, lui, s’est lancé dans une véritable épopée sur les traces de la sécheresse de l’Ouest américain, et ne la conçoit qu’en noir et blanc – un noir et blanc dont le grain dense évoque celui la poussière de ses paysages dramatiques. Quant a Lorenzo Meloni, il aborde le conflit avec l’ame, au-dela des faits. Autant d’exemples libérateurs pour les narrateurs d’aujourd’hui souffrant des changements du milieu sans oser le bouleverser, alors qu’il n’attend que ca.