Louis de Boccard, de Fribourg, s’établit en Argentine en 1889. À l’âge de 23 ans, il accompagne un groupe d’émigrés fribourgeois et convoie du bétail vers la colonie de Bragado, dans la province de Buenos Aires. Naturaliste, explorateur et photographe, il réalise au cours de sa vie aventureuse plusieurs albums photographiques qui documentent ses nombreuses expéditions dans différents pays d’Amérique latine.
Le photographe Nicolas Savary découvre le personnage et ses archives dès 2010. Il échafaude le projet Conquistador en 2014 lors d’une résidence artistique à Buenos Aires et au Paraguay. Ses propres images entrent en résonance avec celles du passé, des liens visuels et poétiques apparaissent, le temps et la distance s’estompent.
Dans l’exposition présentée au Musée gruérien, les audiovisuels, les textes et plus de 200 photographies et documents originaux inédits réactivent ce dialogue singulier entre art contemporain et archives historiques. La scénographie est inspirée par des lieux de transit comme le dépôt, le quai de chargement ou la halle de stockage.
L’exposition Conquistador est une co- production du Musée de l’Élysée et du Musée gruérien. Une publication aux éditions RM est également associée à ce projet. Le fonds Louis de Boccard a été acquis en 2017 par le Musée gruérien grâce à un don de la Loterie suisse romande. Il a été restauré en 2018 par Sandra Petrillo (SMP Photoconservation, Rome) et Nadine Reding (Fokore, Berne) avec le soutien de MEMORIAV.
Prémisses
En 1997, soit vingt ans avant l’acquisition du fonds de Boccard, un premier témoignage de cet épisode de l’émigration suisse en Amérique latine arrivait au musée. Il s’agit d’une photographie encadrée qui représente un groupe de Fribourgeois dans la colonie fondée par l’homme d’affaire Maximo Fernandez à Bragado en 1889. Plusieurs personnes représentées sur cette image ont été identifiées par le donateur : « Ulrich Louis – Des hommes de Charmey – Grangier Jacques – Knubel – Kesselring – Grand Auguste ». La photographie n’est pas signée mais elle pourrait avoir été réalisée par Louis de Boccard.
Mis à jour en Suisse en 2010, le fonds comprend 4 albums de formats divers, près de 900 photographies d’Argentine, du Paraguay, du Brésil et de Suisse, de la correspondance, des notes de voyage et des coupures de presse. D’autres albums, photographies et documents liés à Louis de Boccard sont conservés par des privés et des musées au Paraguay. Cette acquisition constitue une mine d’informations intéressantes sur les thèmes suivants : émigration suisse en Amérique latine, ethnographie, urbanisme, sciences naturelles, tourisme et voyage, relations internationales, liens avec la famille de Boccard restée en Suisse.
À notre connaissance, la plupart des photographies inédites conservées dans les albums sont de Louis de Boccard, qui exploite pendant une période son propre studio de photographie. Elles fournissent un témoignage unique et précieux sur l’itinéraire de l’auteur et plus généralement sur le regard que portent les Européens d’alors sur l’Amérique latine, sa population et son environnement.
Certaines images ont été prises par d’autres explorateurs et photographes (Samuel Boote, Mulin et Gaspary). Un grand album consacré à Buenos Aires est composé d’images d’un photographe d’origine helvétique plus célèbre en Argentine qu’en Suisse : le grison Samuel Rimathé.
L’émigration et la colonisation agricole d’origine fribourgeoise sont des phénomènes déjà bien connus (Nova Friburgo au Brésil, Baradero en Argentine, Punta Arenas au Chili). La trajectoire de Louis de Boccard est particulièrement intéressante à cet égard, car le personnage est issu de l’aristocratie fribourgeoise (émigration des élites), il est doté de moyens importants et se consacre à d’autres activités que l’agriculture dans les années qui suivent son arrivée (élevage, exploration scientifique, touristique et politico-militaire pour le compte du gouvernement argentin, etc.).
Le titre choisi par le photographe Nicolas Savary pour l’exposition et la publication qui l’accompagne, «Conquistador», n’est pas à prendre au sens littéral. La conquête de l’Amérique du Sud par les Espagnols au XVIe siècle n’est pas le sujet central de ce projet. Le terme fait référence de manière plus générale au colonialisme et à la figure de l’explorateur aventurier de Boccard qui « consomme » des territoires inviolés, collectionne des spécimens des animaux qu’il chasse, tire profit de ses rencontres avec les Indiens, notamment par le biais de la photographie, et vend du rêve aux riches clients qui participent à ses expéditions.
Parmi les nombreux documents apparus au cours des recherches menées par l’historienne Carine Cornaz Bays, il en est un en particulier qui représente une précieuse source de renseignements sur les relations que l’explorateur de Boccard entretient avec les indigènes dans les régions qu’il parcourt. Il s’agit d’un « Exposé et information d’un projet d’expédition cinématographique chez les Indiens de l’Amérique du Sud» adressé par de Boccard à la Société de Géographie de Paris vers 1930 et conservé aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France : «Je suis arrivé à me convaincre que je dois mettre à profit la grande expérience et la pratique que j’ai des explorations et de la manière de traiter avec les Indiens, pour former une expédition commerciale et scientifique dans les territoires encore presque inconnus habités par les Indiens qui vivent à l’état sauvage dans les mystérieuses et immenses forêts vierges du Grand Chaco, du Paraguay, de la Bolivie et du Brésil, afin d’en prendre les films cinématographiques les plus variés et d’un émouvant intérêt scientifique, et surtout d’un grand et lucratif profit pécuniaire (…) Je suis persuadé que si les Nords Américains connaissaient ces Indiens et se rendaient compte du profit qu’on peut en tirer, ils s’empresseraient de réaliser une ou plusieurs expéditions analogues à celle que je propose. Ne nous laissons donc pas devancer et hâtons-nous. »
Christophe Mauron
Sur les pas de Louis de Boccard, un explorateur suisse dans le Nouveau Monde
du 26 janvier au 21 avril
Musée gruérien de Bulle
Rue de la Condémine 25
1630 Bulle (Suisse)