Une petite fille perdue dans les bois, un vagabond assis, contre une cabane en pierre, un garçon à la chevelure blonde qui regarde en cachette, près d’un ravin, ses lettres secrètes, un évêque en exil à côté d’une barre d’immeubles tragiques. Seules restent, devant lui, une montagne gigantesque et sa foi.
Petits, minuscules, les personnages de Nicolas Dhervillers vivent dans une géographie romanesque, une région romantique, un entre-deux à la poésie sombre. Ils voyagent dans un passage, énigmatique, intermédiaire et potentiellement dangereux où les ciels sont aussi lourds que des chagrins. Les tableaux photographiques de Nicolas Dhervillers sont des collages fictionnels, des assemblages narratifs. L’artiste choisit un paysage, le corrige, l’endort puis le réveille, augmente sa beauté, son étrangeté et le renverse du côté du décor de théâtre ou de la séquence filmique. Il touche aux lumières, poétise le réel, fabrique des mystères, des artifices. A l’intérieur, il invite des femmes, des hommes, des enfants, d’hier, d’aujourd’hui. Archives ou images glanées sur internet, les figures subissent une extraction, un arrachement à l’oubli et sont projetées dans une terre esthétisée en haute définition. De la circulation, elles passent à l’arrêt, à la paralysie, au stationnement, coincées dans un paysage sourd et incertain. Engloutis par une nature épaisse, opaque, les personnages errent ou se trainent dans un espace où le temps à oublié sa fuite. Ce sont des intrus, des « incrustes », sans bagages et sans destin. On ne sait s’ils ont été sauvés, s’ils entrent en conflit ou sont en détresse avec la terre où ils sont tombés. Acteurs miniatures, ils ont la possibilité de la paresse, du désengagement, de la désillusion. Devant eux, il n’y a qu’une impossible évasion. Introduits dans un nouveau récit, ils deviennent les figures égarées d’un mirage, d’une mise en scène. Et dans cet horizon de leurres, ils sont les anonymes d’une « carte postale » imaginaire ouverte sur la référence, la citation. Car dans les toiles photographiques de Nicolas Dhervillers se condensent, les peintres paysagistes flamands et hollandais du XVIIe siècle, les tableaux de Caspar David Friedrich ou les errances philosophiques des personnages de Tarkovski (le personnage de Kris dans Solaris).
Les codes cinématographiques, cadrages et filtres, s’arrangent dans un effet pictorialiste pour étirer la théâtralité des paysages et fabriquer une image de l’Homme, pris entre la nature et sa condition, à mi-chemin entre un état de conscience et celui de somnambulisme.
Nicolas crée un territoire métaphysique, une zone alternative en amont et en aval de l’Histoire, où les repères n’appartiennent plus au réel, à ses promesses, à ses besoins. Les âmes en sommeil qui traversent ces huis-clos probatoires, fondues dans un paysage envahissant et impénétrable, trouveront-elles une éclaircie au sens de l’existence ?
Julie Estève
Julie Estève est journaliste et critique d’art. Elle pense comme l’Alice de Lewis Carroll que « si le monde n’a vraiment aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ».
Nicolas Dhervillers
My Sentimental Archives
17 décembre 2011
School Gallery
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