Cette exposition a été assemblée par Christiane Paul, Professeur associée a la School of Media Studies deThe New School et commissaire adjointe au Whitney Museum, intriguée depuis dix ans par l’effacement de la frontière entre les sphères publique et privée.
Que ce soit par les médias sociaux ou la multiplication des systèmes de surveillance et de sousveillance, le privé se dissout, rappelant sa différence avec l’intime. Il y a quelque chose d’aussi humoristique qu’inquiétant dans ces propositions variées n’abordant jamais le sujet de façon redondante.
Dans cet univers médiatique en constante expansion, la photographie est l’un des médias privilégiés de l’échange de connaissances dirigé ou subi. Plusieurs travaux présentés dans l’exposition y ont recours, en proposant parfois une nouvelle définition.
C’est notamment le cas de Carlo Zanni, qui après avoir découvert une photographie de lui en naviguant sur Google Map, a capturé l’image qu’il a d’autorité titrée « Autoportrait ». La coïncidence se reproduit quelques mois plus tard quand, alors que la première image a été remplacée par une version actualisée dont il est absent, il retrouve sa silhouette à quelques blocs de là, parcourant les rues de Milan en compagnie de plusieurs amis. Il titre celle-la « Autoportrait avec des amis ». Ici la photographie y est définie comme impromptue, non contrôlée, l’outil même y est différent, les critères esthétiques bousculés.
Le travail d’Eva et Franco Mattes repose également sur l’utilisation d’images photographiques démocratiques existantes : leur projet « The Others » compile plus de 10 000 images personnelles récupérées sur les ordinateurs personnels d’internautes partout dans le monde. En les projetant ensuite sous la forme d’une vidéo dans le cadre d’une exposition ou en les affichant publiquement sur leur site internet, les deux auteurs franchissent explicitement la limite entre privé et public.
C’est en partie la démarche de Paolo Cirio et Alessandro Ludovico, qui ont mis la main sur des milliers de photos de profil Facebook qu’ils ont ensuite soumis à un logiciel déterminant des caractères types. De ces identités référencées digitalement, les artistes ont créé un site de rencontres. L’œuvre questionne tout d’abord l’accaparation d’images privées par les auteurs, un procédé qui est en quelque sorte à l’origine même des réseaux sociaux puisque c’est ni plus ni moins ce qu’a fait Mark Zuckerberg en pillant les photos du palmarès de l’université pour lancer son site.
Le phénomène est régulièrement questionné pour des questions éthiques et tout aussi régulièrement ignoré par les millions d’utilisateurs du site, ne se sentant pas personnellement concernés par cette réalité. Il est amusant dans cette installation de lire les réactions des internautes ayant appris l’existence du projet, lettres d’insultes rédigées à bout de souffle et bouillonnant de haine ou notes ironiques de quelques cyniques. L’installation interroge ensuite le statut de la photographie dans le cadre de l’image que l’on donne de soi, sorte d’extension de l’autoportrait par un outil contemporain.
L’exposition offre des réflexions variées sur les médias, sur l’avenir possible et effrayant de l’omniprésence de la représentation, passant de la poésie, comme c’est le cas de Wafaa Bilal, à l’espièglerie, comme chez Jill Magid, tous les projets si situant dans un quotidien que l’on partage tous, rendant difficile tout déni.
Laurence Cornet
The Public Private
Jusqu’au 17 avril 2013
Anna-Maria and Stephen Kellen Gallery
Sheila C. Johnson Design Center
Parsons The New School for Design
2 West 13th Street
New York
USA