Le patronyme de Mark laissait sans doute présager une carrière privilégiée. Ce n’est pourtant pas la chance qui a mené le photographe britannique à consacrer son talent à l’observation d’un pays, la Pologne, mais bien un flirt avec son territoire devenu histoire d’amour.
La première fois, c’était pour les vacances, avec sa petite amie. Mark Power n’est alors ni membre d’une agence prestigieuse ni même photographe documentariste. L’homme découvre la Pologne en touriste après une année tumultueuse et ne se doute pas qu’il y reviendra à vingt cinq reprises. Nous sommes en 1989. Il vient tout juste d’être propulsé sur le devant de la scène par ses clichés de la chute du mur de Berlin, qui font de lui un expert de l’Europe de l’Est auprès des journaux anglais. Sa carrière est lancée.
Quinze ans plus tard, c’est un photographe reconnu qui, dans le cadre d’un projet lancé par Magnum de « portraits » des dix nouveaux pays entrés dans l’UE en 2004, doit faire un choix. Ce sera celui du cœur. Mark Power quitte à nouveau le sud de l’Angleterre pour Varsovie, ce coup ci avec l’idée d’y documenter l’état d’un pays en transition, entre vestiges du passé communiste et évolution parsemée de contradictions. La réalité polonaise est contemporaine et celle à laquelle il se confronte, à son image. Il a imaginé la perfection, mais Power n’est pas économiste et ne dispose pas d’un temps imparti pour réaliser ce qui, en photo, peut parfois prendre des années.
La maturité
Vient alors l’intelligence de la maturité. Armé de son grand format, il dévie la trajectoire de son ambition et parcourt les villes, les banlieues, les campagnes, à la recherche de ce qui l’intrigue ou le surprend, avec la volonté de ne pas seulement ramener une énième série de photos de vacances. Il redécouvre les conséquences du désordre qui l’a toujours fasciné. D’abord politique, que le pays a traversé depuis la chute de l’URSS en valsant à tours de rôle entre extrême gauche et extrême droite. Historique ensuite, marqué par la situation géographique de la Pologne, « plutôt au mauvais endroit, entre l’Allemagne nazie et le bloc soviétique. » Il s’éprend aussi pour un peuple, animé par une mentalité particulière, mélange de nationalisme et de fierté retrouvée, et l’énergie de ses jeunes générations, « dénués de la forme de complaisance qu’ont les européens de l’Ouest, consciente du passé ».
Mais Power est un photographe grand angle. Un amoureux d’architecture, surtout. La polonaise, fragmentée et composée d’édifices inachevés, crépités, portant les traces de l’utopique socialisme ; il la trouve au bord des routes, des terrains vagues, des lacs ou des ruisseaux. Si celle ci paraît vieillissante et démodée, une autre fleurit également dans tout le pays. Celle des nouveaux immeubles à propriété privée et des parkings de supermarchés flambants neufs, acteurs d’un renouveau économique et missionnaires de la consommation à outrance. La Pologne de Mark Power, Sound of two songs, est finalement représentative de ce qu’il n’espérait pas pouvoir démontrer : contrastée, en perpétuel changement visuel, romantique, un peu mélancolique aussi. Adorant bouleverser les stéréotypes, il en parle comme on parle d’une femme avec qui l’ont vient de rompre : « C’est un pays beau. C’est un pays laid. » La beauté des clichés est en revanche réelle. Une beauté en couleur, douce, calme et silencieuse.
Un certain « langage photographique »
Le photographe exploite l’image avec habileté. A l’heure où chacun de ses semblables se doit plus ou moins de s’approprier un style – reportage, portrait, paysage –, Mark Power se refuse à une catégorie particulière. Il déteste d’ailleurs le mot, il préfère « langage photographique », et dépeint une façon assez consistante de voir le monde, avec un certain goût pour l’éclectisme. C’est un touche-à-tout. Le genre à entamer plusieurs travaux en même temps. Une de ses frustration est d’ailleurs d’avoir laisser filer en Pologne des images qu’il ne pouvait pas incorporer dans un livre ou dans une exposition. Parmi elles, plusieurs réalisées dans les églises catholiques, durant la messe, d’un point avantageux, en haut au fond, près de l’organiste. Des photos épiques qui mêlent une nouvelle fois architecture, espace et audiences. Un projet motivé par l’histoire personnelle qui le lie au christianisme et qui verra peut-être le jour dans « un livre de famille », réalisé avec des créations artistiques de ses proches.
Mark Power possède une bonne étoile. C’est lui qui le dit. Inlassablement, il se soucie pourtant du monde qui l’entoure, part à la rencontre des peuples, saisit leurs émotions, observe leurs comportements en magnifiant la supposée banalité. Il engage son regard à documenter le commun d’un monde qui fait semblant d’être figé.
« Etre un photographe de documentaire donne un passeport pour d’autres mondes et d’autres vies. Celles des gens qui ne paraissent pas en avoir. »
Sound of two Songs a été exposé en ce début d’année 2011 à l’Amador Gallery de New York et est disponible dans une publication éponyme.
Jonas Cuénin