Kathy Ryan, la directrice photo du New York Times magazine, est à ses heures perdues un brillant chasseur d’ombres et lumières. Durant les deux dernières années, elle a tenu un journal quotidien d’images, toutes réalisées pendant son temps de travail dans les bureaux du grand quotidien américain, et postées en temps réel sur Instagram et Facebook. Ses sujets : murs, couloirs, stores, objets, collègues et amis de passage. Dans son livre Office Romance, qui sort en octobre chez Aperture, on découvre 100 photographies aux atmosphères abstraites et suggestives. Sans pousser la comparaison trop loin, elles rappellent les styles de Harry Callahan ou Saul Leiter, dans une tradition photographique américaine attachée aux lignes et aux formes.
Certaines sont plus banales que d’autres, mais au milieu se sont glissés de véritables tableaux de textures subtilement mariées par la prise de vue à l’iPhone et son assimilation des plans. Sur un mur, on distingue l’ombre difforme de jambes et de leurs bottines. Sur un autre, les habits rayés d’un homme se confondent aux doubles des stries d’un store. Plus loin, ce sont les flous, les réflexions du verre et les couleurs de la lumière solaire qui font la loi. Tâches de doigts et rayons arc-en-ciel. Pupille brune et carrés de blanc. Skyline new-yorkaise et tissu pellucide. C’est avec joie qu’on se perd dans cette dernière série de photographies mystérieuses, plongeant avec imaginaire dans cet ordinaire espace professionnel reconverti en terrain de jeu visuel. Plus réalistes, les objets, eux, jouent de la symbolique. Grimoire ouvert sur une table, boule de papiers déchiquetés, coli ficelé au milieu d’un couloir, roses blanches en pleine santé et tulipes fanées. Au fil des pages, on sent également la proximité que Kathy Ryan entretient avec ses collaborateurs: elle introduit son ouvrage par un croquis signé de l’architecte Renzo Piano, ou utilise un procédé apprécié de la sud-coréenne Ina Iang dans des portraits derrière une surface translucide, ici du verre dépoli.
Dans cet univers tantôt certain tantôt chimérique, l’espièglerie se mêle à la récréation, révélant alors les traits de caractère de cette ouvrière de l’ombre. Où qu’elle soit, Kathy Ryan utilise son carré de composition pour donner un peu de poésie au quotidien de son bureau, éternel fabrique du journalisme et laboratoire artistique d’un jour. Et ainsi signifier à ceux qui en douteraient encore que le mélange des vocations est toujours envisageable.
LIVRE
Office Romance, by Kathy Ryan
144 pages
env. 100 photographies n&b et couleur
Couverture rigige et jaquette
ISBN 978-1-59711-304-5
$29.95/£19.95
Octobre 2014
http://www.aperture.org
http://6thfloor.blogs.nytimes.com/author/kathy-ryan
