Se tiennent conjointement au Victoria and Albert Museum de Londres (jusqu’au 4 janvier 2015) et à la galerie Staley Wise de New York (jusqu’au 1er novembre 2014) deux expositions qui forment une grande rétrospective dédiée à Horst, photographe de mode, mais aussi de nature, de voyages, et ami dès l’avant-guerre des mystères du surréalisme.
Né Allemand en 1906, mort Américain en 1999, le photographe Horst P. Horst, connu essentiellement pour ses portraits, a laissé derrière lui des images qui transcendent les modes et les époques. Comme ses contemporains Irving Penn et Richard Avedon, il fait partie de cette génération dorée qui a influencé les courants visuels du XXe siècle et les magazines d’alors, comme Vogue ou House and Garden, où ses photographies sont apparues à maintes reprises durant sa longue carrière de soixante ans. Maître de la lumière, de la composition et des illusions, il aimait voir le monde en sophistications sensuelles, que ce soit à Paris ou à New York, ces deux villes préférées. Prolifique concepteur d’images, Horst était aussi un grand archiviste, comme en témoigne l’énorme collection de tirages, dessins, carnets, albums et lettres qu’il a soigneusement conservée tout au long de sa vie, et qui est aujourd’hui exposée aux côtés d’autres tirages provenant des archives de Condé Nast.
Pour Horst, tout débute lorsqu’il rejoint Vogue en 1931. Paris est alors encore le centre incontesté du monde de la haute couture, et la photographie a déjà commencé à éclipser illustration graphique dans les magazines du genre. L’éditeur Condé Nast consacre des sommes importantes à l’amélioration de la qualité de reproduction de l’image et insiste pour que les photographes de Vogue travaillent au grand format et produisent des négatifs aux détails riches. Horst imagine alors ses photographies en processus collaboratifs, impliquant les talents du photographe mais aussi ceux des modèles, du directeur artistique, de la rédactrice de mode, des assistants et techniciens de studio. Comme le mannequinat est encore à ses débuts dans les années 1930, beaucoup de celles qui posent sous les lumières de Horst étaient des amies élégantes du personnel de la revue, des actrices ou des aristocrates en besoin de célébrité. On retrouve alors fréquemment ses images dans les éditions françaises, britanniques et américaines du magazine.
Les portraits de Horst couvrent un large échantillon de sujets, des artistes aux écrivains, des présidents aux rois. S’il s’intéresse d’abord à la royauté et aux classes bourgeoises intéressées par l’art, il commence dans les années 1930 à faire poser les stars de cinéma, pratique qui s’intensifie dès que la guerre éclate et qu’il s’exile aux Etats-Unis. C’est alors une période où l’évasion offerte par le théâtre et le cinéma a gagné en popularité. Se succèderont devant son objectif Joan Crawford (1938), Marlene Dietrich (1942) ou Ingrid Bergman (1959). Le premier portrait de Horst d’une actrice de Hollywood étant celui de Bette Davis, apparu dans le magazine Vanity Fair, petite sœur de Vogue, en 1932. C’est aussi l’époque où l’occupation de Paris transforme le monde de la mode. La majorité des ateliers français ferment et de nombreux couturiers et acheteurs quittent le pays en même temps que Horst. La rareté de la mode française en Amérique, cependant, permet alors aux designers américains de se retrouver.
Les années 1930 sont également marquées par les progrès techniques en photographie couleur. Dès lors, Horst adapte rapidement un nouveau vocabulaire visuel, mêle cette “nouvelle photographie” à ses noirs et blanc, et créera quelques-unes des images couleur les plus éclatantes de Vogue. Sa première couverture : la princesse russe Nadejda Sherbatow dans une veste de velours rouge, en 1935. Et si les photographies couleur de Horst sont rarement exposées, c’est que seuls quelques tirages d’époque existent, la capture en couleur ne nécessitant pas à l’époque de forcément sortir les images. Ainsi, les tirages couleur à grande échelle exposés aujourd’hui proviennent d’un groupe d’images que Horst a imprimé en 1938 à la maison de presse de Condé Nast.
Comme si de rien n’était, l’avant-gardiste Horst s’intéresse en même temps au mouvement surréaliste, nouveau et unique moyen d’interpréter le monde, tournant son inspiration vers les rêves et l’inconscient. Ces photographies-là mêlent les éléments mystérieux et une atmosphère lunatique à son esthétique classique. Il y a ces trompe-l’œil de natures mortes, ces images de robes surréalistes de son ami Elsa Schiaparelli et celles nées de sa collaboration avec Salvador Dalí. Sa plus célèbre photographie de l’époque : Mainbocher Corset (1939), image du dos d’une femme habillée d’un corset et assise sur une structure de bois. Des décennies après, le couturier Main Bocher, styliste de la pièce, exprimera son admiration pour la virtuosité et l’écriture de Horst en ses mots : « Vos photos sont un pur génie et réjouissent mon âme… Chacune est parfaite en elle-même. » Horst lui-même racontera à propos de cette image : « C’était la fin d’une journée de shooting de collections pour Vogue. Je devais prendre le train pour aller au bateau, aux alentours de 20h. J’étais fin prêt à quitter Paris et soudain ce corset m’est apparu. J’étais très triste de quitter Paris, je sentais que la guerre arrivait. Il y avait une étagère sur le mur du studio et j’ai demandé au modèle de s’asseoir dessus. Nous avons parlé de nous en aller et elle pleurait. J’ai un peu défait son corset, et l’image est arrivée ainsi. C’était un adieu à la France. »
Exils
A New York, durant les années 40, Horst passe le plus clair de son temps dans le studio Condé Nast au 19e étage de l’édifice Graybar, un gratte-ciel art déco sur Lexington Avenue, à Manhattan. L’espace clos est clairement son endroit favori de création. Le studio est équipé d’une variété de lumières et d’accessoires, et Horst travaille alors en étroite collaboration avec le talentueux directeur artistique Alexander Liberman. Comme Horst, ce dernier avait trouvé refuge dans les milieux artistiques de Paris et de New York, et jouira lui aussi d’une longue carrière au sein de Condé Nast. En 1946, l’habillage de la femme américaine est devenue l’une des plus grandes industries du pays, brassant plus de six milliards de dollars par an. Sentant le changement, Vogue élargit en conséquence son personnel. Et en 1951, Horst déménage son studio dans l’ancien appartement de standing de l’artiste Pavel Tchelitchew, avec hauts plafonds et vue spectaculaire sur la rivière. C’est là que Horst développe une nouvelle approche de la photographie en réponse à l’abondance de la lumière du jour, pratique qui verra ses célèbres ombres atmosphériques peu à peu disparaitre.
Portraitiste, fervent utilisateur du studio, Horst a aussi été un grand voyageur. À l’été 1949, il se rend au Moyen Orient avec son partenaire Valentine Lawford, alors conseiller politique à l’ambassade britannique de Téhéran. Ensemble, ils voyagent sur la route qui relie Beyrouth à Persépolis, où Horst peut photographier les ruines de l’ancienne ville de Perse qui ont été récemment découvertes, avant, engagé par Vogue, de visiter le nouvel Etat d’Israël. Ce voyage lui ayant laissé une forte impression, il y retourne au printemps 1950 et passe une semaine avec Lawford au bord de la mer Caspienne avant de documenter la migration annuelle du clan Qashqai, plus grand groupe nomade de la planète : Horst et Lawford sont été invités par le leader Malik Mansur Khan Qashqai à passer dix jours avec sa tribu et voyager à dos de chameau ou de cheval, à la recherche de végétation pour les troupeaux du peuple.
Autre pratique surprenante de la part d’un photographe de mode : les motifs naturels. Au milieu des années 40, Horst produit plusieurs natures mortes qui se retrouveront dans un livre, Patterns from Nature (1946). L’une de ces images, Patterns from Nature Photographic Collage (1945), est un gros plan en noir et blanc sur des plantes, des coquillages et des minéraux trouvés dans les jardins botaniques de New York, dans les forêts de la Nouvelle-Angleterre, au Mexique, et sur les côtes Atlantique et Pacifique des Etats-Unis. En partie inspiré par des photos de plantes signées Karl Blossfeldt (1865-1932), ce projet verra Horst déclarer qu’il a été frappé par « la révélation de la similitude des formes végétales aux formes d’art, comme celle qui lie le fer forgé et l’architecture gothique ». L’intérêt de Horst pour la nature est également lié à « la pureté technique de la vision photographique », une philosophie associée à la Nouvelle Objectivité des années 1920 et 1930, qui poussait ses pratiquant à extraire des formes naturelles de leurs contextes et à les examiner pour qu’elles deviennent étrangères et révélatrices d’un monde à part.
L’une des dernières passions de Horst a été le nu. Au début des années 1950, le photographe en produit toute une série. Ces études de personnages masculins s’exposent pour la première fois à Paris en 1953 et seront réimprimés dans les années 1980 à l’aide du procédé platine-palladium. On y découvre à nouveau son sens de la forme. Dans ces nus monumentaux, ressemblant à des scupltures classiques, l’accent est mis sur un corps humain idéalisé, les lumières et les ombres expressives jouant le rôle d’enjoliveur. Mehemed Agha (1929-1978), directeur artistique du Vogue américain, déclare à propos de ces photographies : « Horst prend l’argile inerte de la chair humaine et la façonne dans une forme décorative de son propre cru. Chaque geste de ses modèles est prévu, chaque ligne contrôlée et coordonnée à l’ensemble de l’image. Certains gestes semblent naturels et insouciants, car soigneusement répétés ; les autres, comme le dieu de Voltaire, ont été inventés par l’artiste parce qu’ils n’existaient pas. »
Dans la deuxième partie de sa carrière, à partir des années 60, Horst est un homme plus calme. Il continue néanmoins sa documentation en portraits des modes de vie de la haute société internationale : le baron Philippe de Rothschild, Helen de Grèce, le duc de Windsor et la duchesse de Windsor, Andy Warhol, Nancy Lancaster, Yves Saint Laurent, Doris Duke, Jean Cocteau, Emilio Pucci, Cy Twombly, Jacqueline Kennedy Onassi ou encore Paloma Picasso poseront pour lui. Sa dernière photo pour le Vogue britannique est publiée en 1991 : la princesse Michael de Kent, affichée sur fond de tapisserie et portant un diadème appartenant à sa belle-mère la princesse Marina qu’il avait lui même photographié en 1934. Véritable photographe du XXe siècle, représentant du glamour des années 1930 et du cercle chic parisien, Horst s’est éteint à son domicile de Palm Beach Gardens, en Floride, à l’âge de 93 ans. Le grand hommage qui lui est rendu aujourd’hui, quinze ans après sa mort, est le premier du genre.
EXPOSITIONS
Horst, Photographer of Style
Jusqu’au 4 janvier 2015
Victoria and Albert Museum
Cromwell Road
London SW7 2RL
Royaume-Uni
+44 20 7942 2000
Horst, Shadow and Light
Staley Wise Gallery
Jusqu’au 1er novembre 2014
560 Broadway
New York, NY 10012
USA
(212) 966-6223