Arnaud Claass est un poète de l’image, opérant dans le réel une transformation délicate et sensible — cette métamorphose qu’Emmet Gowin qualifie d’opération mystique pour décrire la photographie de Frederick Sommer. De Gowin, Claass retient le sens unique de l’intime. Ses portraits de la série Continuités résonnent avec ceux d’Edith, réalisés par son aîné.
Fondus dans la nature, les corps déploient le champ des émotions, aussi variées que les espèces végétales ; nus et abandonnés au sommeil, ils laissent à la lumière le soin de révéler la beauté de leurs courbes et leur sensualité fragile ; observés de près, les sujets sont conscients d’être capturés, sans en réponse jouer la comédie.
Il arrive même que les visages disparaissent pour laisser place à la suggestion, au mystère, et parfois au morbide. Une photographie troublante représente un cheval qui courbe l’échine tant et si bien qu’il semble décapité, centaure en devenir qui invite à appréhender le monde avec l’instinct et non la raison. Plutôt que d’aborder l’œuvre d’Arnaud Claass chronologiquement et par série, le commissaire Robert Blake a choisi pour cette exceptionnelle rétrospective d’en faire ressortir les thèmes, les obsessions et les motifs.
Il raconte les histoires transversales qui pour Claass font l’essence de la photographie : « La photographie me permet d’entrevoir des bribes de fragments narratifs qui se déroulent sans cesse », écrit-il. Noir et blanc et couleur se répondent, portraits et natures mortes conversent pour illustrer la variété d’interprétations du réel, s’opposant ou s’enrichissant comme dans les collages qu’il a réalisés.
Il capture des détails, isole des éléments pour en pointer les notes surréalistes, isole ensuite des individus du capharnaüm urbain pour arrêter un instant le désordre humain dans l’ordre du temps. La série s’appelle Patience, comme un clin d’œil à autre poète, Rainer Maria Rilke, qui écrivait : « Un an ne compte pas : dix ans ne sont rien. L’été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s’ils avaient l’éternité devant eux. »
Pendant ses 45 ans de carriere, Claass a ainsi suivi les saisons de la créativité, déployant une œuvre diverse et cohérente, image après image. « Je suis persuadé qu’on ne photographie que pour une raison essentielle : organiser le chaos des sensations et des pensées perpétuellement fuyantes, davantage que pour “voir” au sens instrumental du terme », écrivait-il en 2005 à l’occasion de l’exposition Mémoire vive au CPIF (Centre photographique d’Île-de-France). Et de fait, ses images aux correspondances abstraites font surgir autant d’images mentales, élargissant du même coup la définition de la perception.
EXPOSITION
The Eye’s Intention, d’Arnaud Claass
jusqu’au 24 janvier 2015
601 Artspace
601 West 26th St., #1755
New York, NY 10001
+1 212-243-2735