Depuis sa première édition en 1913 et la sensation du Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp, l’Armory Show a toujours été un lieu de présentation de créations d’avant-garde. Un centenaire plus tard, les exposants de la foire semblent aussi bien miser sur les valeurs sûres, dans l’aile du Pier 92, que sur les nouvelles tendances, dans l’aile du Pier 94. Ainsi, tout arts confondus, les vieux favoris — Robert Indiana, Arthur Dove, Elie Nadelman, Alfred Jensen, Joseph Beuys, Keith Haring — se mêlent aux nouveaux protégés — Doug et Mike Starn, Michelle Grabnet, Chen Haiyan, Romuald Hazoumè, Jonathan Meese, Aiko Hachisuka. Un concentré d’histoire et d’horizons, avec en particularité de cette édition 2014 un focus sur la Chine et sa scène.
Mais force est de constater que cette logique s’applique surtout à la peinture, la sculpture ou les arts pluridisciplinaires. En photographie, et c’est peu dire, la tendance est aux classiques. Dans le dédale des entrepôts, elle tient une place minime, presque infime, et quand elle est exposée, ce sont les grands noms du medium qui tentent de la porter. Les quelques galeries spécialisées ont misé sur William Klein, Irving Penn, Bruce Davidson, Berenice Abbott, Edward Steichen, Daido Moriyama, Paul Strand, Edward Weston ou encore la star posthume Vivian Maier. Autant de d’images vues et revues qui traduisent la frilosité des représentants à exposer les plus jeunes, ceux en devenir, ou les artistes contemporains dont les œuvres jouissent déjà de célébration. Comme si la photographie devait encore prouver son existence dans l’art par la vente de tirages de ses gloires d’antan. Ou peut-être n’est ce qu’une question de goûts actuels ?
Aussi, à l’Armory, pour découvrir de rares nouveaux talents, ils fallait se diriger vers les stands de moindre renommée, comme celui de la galerie Brandstrup, venue d’Oslo présenter le travail de la formidable Nelli Palomäki, photographe finlandaise aux portraits toutefois assez traditionnels et découverte en Europe en 2013. Chez Monique Meloche, une galerie de Chicago, c’est Carrie Schneider qui tient la corde avec sa série de jeunes femmes assises à la lecture de livres de toutes sortes, un travail pictural à l’atmosphère presque religieuse, presque sans réelle prise de risques. L’authenticité est à apprécier chez Ed Templeton, skateboarder professionnel devenu artiste et exposé par Tim Van Laer et Roberts & Tilton : son journal personnel révèle de formidables photographies de rue, des scènes touchantes, d’autres à l’état brut, des portraits magnifiquement composés et un certain goût pour le collage. Quant aux redécouvertes, citons deux photographes aux œuvres trop méconnues : le nigérian Okhai Ojeikere, décédé il y a un mois, et ses coiffures africaines, chez Yossi Milo. Mais surtout l’allemande Sibylle Bergeman, morte elle en 2010, membre fondateur de l’agence photographique Ostkreuz et qui a touché à plusieurs genres, de la documentation du quotidien de son pays pendant 50 ans, notamment celle de Berlin-Est durant l’ère communiste, à une exploration de la photographie de mode. Aujourd’hui représentée par galerie Loock, Sibylle Bergemann mériterait certainement une reconnaissance à l’échelle internationale. Peut-être peut-elle être amorcée par une foire comme l’Armory, à défaut de compter sur la foire pour enclencher celle de photographes d’avenir.