« Naked » : la Cour d’appel de Paris considère que la sculpture de Jeff Koons est une contrefaçon d’une photographie de Jean-François Bauret
Le nom de Jeff Koons apparaît à nouveau dans une décision de justice française. Ces dernières années, en effet, l’artiste américain a fait l’objet de plusieurs condamnations pour contrefaçon, et la décision de la Cour d’appel de Paris du 17 décembre 2019 ne fait que prolonger un passé judiciaire peu favorable à l’artiste.
Dans cette affaire, la Cour s’est intéressée au cas de la sculpture en porcelaine intitulée « Naked », représentant deux enfants nus se tenant par l’épaule. Réalisée en 1988, l’œuvre devait être exposée au Centre Pompidou en 2014 dans le cadre de la rétrospective consacrée à Jeff Koons avant d’être endommagée au cours de son transport. Les héritiers du photographe Jean-François Bauret ont néanmoins assigné Jeff Koons, sa société qui gère la fabrication, l’exposition et la promotion de ses œuvres, et le Centre Pompidou en contrefaçon d’une photographie prise par Bauret en 1970, intitulée « Enfants » et représentant deux enfants nus dans une pose similaire à celle des enfants de « Naked ». Retirée de l’exposition, l’œuvre a en revanche figuré sur les divers supports de l’exposition vendus au public.
Dans son jugement du 9 mars 2017, le Tribunal de grande instance de Paris a reconnu le caractère contrefaisant de l’œuvre de Koons, en dépit des différences tenant aux spécificités des supports (sculpture et photographie), rejetant les arguments de l’artiste tenant à la liberté d’expression et à l’art de l’appropriation, mouvement artistique consistant à créer une œuvre en se fondant sur des œuvres pré-existantes. Il s’agissait alors pour la Cour d’appel de réaliser un contrôle de proportionnalité entre d’une part, la protection des droits d’auteur du photographe, et, d’autre part, la liberté d’expression qui garantit aux artistes une liberté totale de création. La recherche d’un point d’équilibre entre ces deux droits des artistes fait l’actualité juridique depuis plusieurs années.
Dans sa décision du 17 décembre 2019, la Cour confirme le jugement et condamne la société J. Koons et le musée pour contrefaçon de l’œuvre photographique au motif que la sculpture reprend « la combinaison des caractéristiques qui révèlent l’originalité de la photographie ‘Enfants’ de Jean-François Bauret » et porte ainsi atteinte au droit d’auteur, droit considéré comme fondamental. La société Jeff Koons LLC est condamnée à payer aux héritiers 10.000 euros en réparation du préjudice patrimonial et 10.000 euros au titre du l’atteinte au droit moral. Le Centre Pompidou est condamné solidairement à hauteur de 10 % de ces sommes. Cet arrêt s’inscrit dans une tradition jurisprudentielle française qui tend à sacraliser le droit d’auteur en lui accordant la priorité dès qu’un autre droit fondamental, telle que la liberté d’expression, menace de l’entraver.
La Cour de cassation avait pourtant rappelé en 2015, dans la retentissante affaire Peter Klasen opposant ce dernier à un photographe qui lui reprochait d’avoir inséré certaines de ses œuvres dans ses créations sans son consentement, qu’il convenait de prendre en compte la liberté artistique de l’auteur avant de se prononcer sur l’existence d’une contrefaçon, les juges devant justifier concrètement pourquoi l’un des deux droits devait primer sur l’autre. En se fondant sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantit la liberté d’expression, la Cour de cassation rétablissait ainsi l’équilibre entre ces deux droits fondamentaux.
En l’état actuel du droit, les seules exceptions à la primauté du droit d’auteur résident, en vertu de l’article L.122-5 du Code de propriété intellectuelle, dans le pastiche, la parodie et la caricature. L’œuvre de Koons n’entre évidemment pas dans l’une de ces catégories. Une proposition intéressante serait d’admettre que la liberté d’expression puisse prévaloir si l’œuvre « empruntée » est suffisamment connue et reconnaissable pour que le public soit en mesure d’identifier son appropriation par le « second » artiste.
La recherche d’un équilibre entre ces deux droits fondamentaux que sont le droit d’auteur et la liberté d’expression a encore de longues années devant elle.
Julie Raignault, avocat à la Cour
Marina Bessières, étudiante en Master 2 droit du marché et du patrimoine artistiques – Paris II
GRAMOND & ASSOCIES
Gramond & Associés est un cabinet d’avocats d’affaire. Il accompagne notamment les acteurs du marché de l’art dans la sécurisation de leurs projets et dans la défense de leurs intérêts. www.gramond-associes.com