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MUUS Collection : Entretien avec Amanda Smith sur Deborah Turbeville

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Dans cet entretien avec L’Œil de la Photographie, Amanda Smith évoque son rôle de responsable des archives de la collection MUUS, en particulier la gestion des archives de Deborah Turbeville. 

 

Quel est votre parcours et que signifie être responsable des archives de la collection MUUS ?

Je suis diplômée j’ai une licence en histoire de l’art et en études américaines à l’Université Rutgers et un master en conservation photographique et gestion de collections de l’Université métropolitaine de Toronto (anciennement l’Université Ryerson). Cette formation spécialisée se fonde sur une approche interdisciplinaire afin de comprendre les diverses histoires de la photographie (sociales, esthétiques, politiques, technologiques, matérielles, etc.), et ainsi définir une meilleure organisation des archives . J’ai eu la chance d’être embauchée comme archiviste par la Fondation Gordon Parks lors d’une période cruciale dans l’histoire de l’organisation, puis j’ai été promue au poste de directrice adjointe; J’ai pu structurer la préservation générale du fonds au rythme des expositions, des publications et des subventions. J’ai toujours été fascinée par la création d’ordre au milieu du chaos qui définit souvent le travail d’archive, surtout celles des photographes dont le travail est peu connu. À la collection MUUS, je peux appliquer cette passion et ces compétences non pas à une, mais à cinq archives entières de photographes américains encore peu explorées. Chaque archive présente ses propres défis uniques et les découvertes à faire.

 

Dans quel état avez-vous trouvé les archives de Deborah Turbeville lorsque son patrimoine a été acquis par MUUS. Était-elle quelqu’un qui avait déjà tout organisé ?

J’ai constaté que l’état des archives d’un photographe à son décès est une représentation assez fidèle de la façon dont elle abordait sa pratique photographique tout au long de sa vie. Comme beaucoup de photographes, Turbeville était une photographe de mode de commandes à succès ; ces matériaux étaient dans son archive organisés par commandes avec des niveaux de description variables. Cependant, c’est son œuvre la plus personnelle qui offre à voir un aperçu de sa personnalité. Ces documents étaient désorganisés, souvent mal identifiés et apparemment endommagés. En apprenant à connaître Turbeville à travers ses amis et collègues, nous avons appris et approfondi cette situation. Elle réutilisait systématiquement les images qu’elle avait réalisées tout au long de sa carrière dans son travail de collage. Sa dernière assistante nous a appris qu’elle aimait regarder des images de façon désordonnée pour trouver des éléments utiles à ses collages. Elle créait ses propres mondes dans son travail et construisait ainsi une mythologie autour de sa propre vie. Les matériaux qu’elle utilisait pour créer son travail étaient à la fois incroyablement importants pour elle (comme la recherche de papiers faits main venant du monde entier) tout en étant sans valeur ; elle déchirait et endommageait non seulement ses tirages, mais elle marchait également dessus sans y penser.

 

Outre ses photos, que trouve-t-on dans ses archives ?

Évidemment, ses archives contiennent tout le matériau photographique habituel (tirages, collages, négatifs, diapositives, planches de contact, etc.), mais aussi des documents personnels, de la correspondance, des journaux intimes, des cahiers de travail, des manuscrits, des maquettes de livres, des éphéméras, des film, des matériaux audiovisuels, de l’équipement, des artefacts, des livres, des magazines et des coupures de presse. Le spectre de l’archive continue de nous étonner ; il y a encore tellement de choses à découvrir sur son travail.

 

Qu’a-t-on fait jusqu’à présent et que reste-t-il à faire ?

La première étape a été de donner un certain ordre aux tirages et collages, que nous avons finalement arrangés par série ou séance photo. Nous avons catalogué tous les tirages et collages (qui ont également été photographiés) ainsi que les documents de soutien. Nous avons effectué une évaluation initiale de la préservation du matériel filmique, que nous sommes en train de reloger dans des matériaux d’archives. Ensuite viendra la numérisation du matériel filmique, ce qui prendra de nombreuses années.

 

Y avait-il beaucoup de tirages originaux ? Sont-ils en bon état ? Deborah Turbeville aimait expérimenter avec ses photos, les couper, les gratter, les coller ou les épingler. Comment procédez-vous pour la conservation de tels travaux ?

Il y a près de 9 000 tirages réalisés de son vivant. En raison de la pratique artistique de Turbeville, évaluer l’état s’est avéré délicat. Après avoir passé autant de temps avec son œuvre, notre équipe a constitué un regard apter à déterminer quels « dommages » étaient en réalité intentionnels. Les spécialistes des collections (de n’importe quel médium) parlent souvent de la différence entre la conservation et la restauration ; pour Turbeville, nous ne cherchons pas à corriger des dommages mécaniques, mais préférons conserver l’état actuel de l’œuvre. Nous avons travaillé avec plusieurs restaurateurs pour stabiliser ses collages avant l’exposition afin de nous assurer qu’ils peuvent voyager et être montrés.

 

Y a-t-il eu une découverte importante lorsque vous avez commencé à examiner ses archives ?

Dispersés dans toute l’archive se trouvaient des photocollages sur des papiers faits main de taille identique, dont beaucoup avaient du texte associé aux images. Ce n’est qu’en les rassemblant physiquement que nous avons réalisé qu’il y en avait plus de 130. Chacun avait un système de numérotation au verso, nous avons donc commencé à classer. Nous avons également découvert le manuscrit original Passport: Concerning the Disappearance of Alix P en traitant le matériel non photographique de l’archive. Nous avons réussi à déchiffrer le texte complet et le système de numérotation pour replacer les collages dans leur ordre d’origine. Ce qui apparaissait était alors une nouvelle semi-autobiographique, qui ne fut jamais publiée comme Turbeville l’imaginait. .

 

Comment avez-vous procédé pour retracer sa vie et la trajectoire de son travail ?

Tout comme Turbeville créait des fictions dans son travail, elle a construit  un mythe précoce autour de sa vie, ce qui a rendu notre recherche initiale difficile. Nous avons eu la chance d’être en contact avec de nombreuses personnes qui l’ont connu et ont travaillé avec Deborah et qui ont été si généreuses en partageant leurs souvenirs et leurs idées, en nous aidant à reconstituer son histoire. Par ailleurs, les carnets propres à l’archive indiquent également une compréhension de l’évolution de son travail.

 

Si vous pouviez choisir un élément — une photo, un objet, un document — dans ses archives, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Nous avons les storyboards originaux du premier livre photo de Turbeville, Maquillage. Ce magazine ‘anti-mode’ a été imprimé en décembre 1975, quelques mois seulement après la publication dans Vogue de la célèbre série The Bath House, présentée dans l’exposition Fashion as Fantasy chez Rizzoli. Ceux-ci sont fascinants car ils montrent qu’elle explorait les matériaux, les processus photographiques et le collage dès le début de sa carrière. Ils combinent des tirages argentiques sur gelatine, des Polaroids, des procédés photo-mécaniques — tous déchirés et collés d’une manière qui deviendra caractéristique de son travail personnel — associés à des fac-similés de lettres et de cartes postales de femmes travaillant dans l’industrie de la mode. Il est également fascinant de voir comment elle a ménagé ses sentiments sur son rôle dans l’industrie de la mode grâce à sa pratique artistique personnelle. Cette dichotomie a existé pendant près de quatre décennies tout au long de sa vie et de sa carrière, jusqu’à sa mort en 2013.

 

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