C’est l’une des grandes expositions de cette année : la rétrospective Franco Fontana présentée jusqu’au 31 août au Museo dell’Ara Pacis à Rome et dont le commissaire est Jean-Luc Monterosso.
C’est par une fête de lignes géométriques et une débauche de couleurs que Franco Fontana révolutionne, dès le début des années 1960, l’art de Niépce.
Utilisant toutes les possibilités optiques de la photographie (cadrages audacieux, faible profondeur de champ, prises de vues plongeantes…), il crée, par une juxtaposition de teintes vives et fortement contrastées des images minimalistes abstraites.
Ce choix de la couleur qui va à l’encontre de toute la photographie classique en noir et blanc seule considérée comme artistique, fait de lui un précurseur.
Et pourtant rien ne prédisposait ce jeune homme à bousculer ainsi le monde de la photographie.
Franco Fontana est né le 9 décembre 1933 dans le cœur historique de Modène au 52 rue Modonella. Issu d’une famille modeste, il quitta rapidement l’école pour, dès l’âge de treize ans, exercer différents petits métiers : livreur, coiffeur (qu’il dû abandonner rapidement car il était allergique à la couleur !) et même employé chez un producteur de vin comme laveur de bouteilles de Lambrusco. C’est à l’armée que grâce à un camarade il découvre la photographie. Fasciné, il loue à la fin de son service militaire un Kodak Retina 3 et commence à réaliser ses premières prises de vues d’abord en noir et blanc puis très vite dès le début des année 1960 en couleur. Mais il n’est pas encore un photographe professionnel. Il le deviendra en 1976, ayant entre-temps géré un magasin de meubles et de design et épousé, en seconde noces, Uti la femme de sa vie.
C’est donc en autodidacte, à l’âge de 46 ans, qu’il transforme sa passion en métier.
Mais pour comprendre le parcours singulier de Franco Fontana et son apport exceptionnel à l’histoire de la Photographie, il est nécessaire de revenir sur la place occupée par la couleur dans le monde de l’image à cette époque.
Jusqu’à la fin des années 1950, la photographie reste dominée par le noir et blanc. Bien que de nombreuses améliorations techniques aient été faites pour obtenir des couleurs dites « naturelles », la photographie couleur est toujours considérée comme un mode de représentation du réel imparfait voire « vulgaire ». Si elle se propage dans la mode, la publicité et chez les amateurs de plus en plus nombreux à l’utiliser pour réaliser leurs photos de vacances, elle reste perçue, pour de grands photographes, comme une concession.
Pour Henri Cartier-Bresson ce n’est qu’une « nécessité professionnelle » car la couleur est un « moyen de documentation » et non « d’expression artistique » (1)
Affirmation reprise avec force et sous une autre forme en 1975 par Robert Frank, qui déclare « Le noir et blanc sont les couleurs de la photographie ». (2)
L’obligation de passer par un laboratoire professionnel pour développer ses images est considéré par beaucoup comme une entrave à la liberté de création. Dans la chambre noire en effet le photographe peut, sur une pellicule en noir et blanc, intervenir non seulement sur le cadrage mais aussi sur les tonalités, cacher ou atténuer certains détails et jouer sur les dégradés de gris. Il peut ainsi à sa guise interpréter la réalité. En résumé, comme l’écrit Nathalie Boulouch : « La photographie couleur dit la réalité alors que le noir et blanc la commente » (3)
(…)
En soixante-cinq ans d’une carrière riche et variée Franco Fontana a publié une soixantaine de livres, répondu à de très nombreuses sollicitaDons commerciales, organisé un festival de photographies à San Marino, animé de multiples workshops et même s’inscrire, pour son plaisir, dans le courant de l’art postal si admirablement illustré par les futuristes italiens.
Sans théoriser son travail Franco Fontana a toujours su le nourrir de toute une culture et dialoguer avec tous les courants artistiques majeurs du XXIème siècle : surréalisme, abstraction, minimalisme, pop art … Il a été, à l’instar des photographes américains de la couleur, un précurseur et un pionnier.
Dès lors, devant cette œuvre si génialement prolifique on peut hésiter à parler de rétrospective. Tout au plus peut-on en esquisser l’ébauche. Celle d’un photographe qui aura marqué l’histoire de la photographie et accompagné, avec la grâce d’un dilettante, l’Art contemporain.
Extrait du texte de Jean-Luc Monterosso
Franco Fontana : Rétrospective
Jusqu’au 31 août 2025
Museo dell’Ara Pacis
Lungotevere à Augusta, 00186 Rome RM, Italie
https://www.arapacis.it/
(1) – Clément Chéroux, Henri Cartier-Bresson, Paris, Centre Georges Pompidou, 2013, p.26
(2) – Edna Bennet, Black and White are the colors of Robert Frank, New-York, Aperture Spring 1961. Cité par Caterina Mestrovitch in Franco Fontana, Color, Skira, 2024, p.1
(3) – Nathalie Boulouch, Le ciel est bleu, une histoire de la photographie couleur, Paris, Textuel, 2011, p.12