Le musée d’Orsay expose un rare album de photographies réalisées par Louis Robert Cuvier en 1866 et 1867, précieux reportage sur le chantier de l’extrême qu’a représenté la construction du canal de Suez. Cet ensemble offre un cas exemplaire de la manière dont la photographie, médium par excellence de l’âge industriel, a très tôt été mise au service d’enjeux tout à la fois technologiques, financiers, commerciaux et diplomatiques.
Menée entre 1859 et 1869 sous la direction du français Ferdinand de Lesseps, la construction d’un canal reliant la Méditerranée à la mer Rouge à travers l’isthme de Suez a constitué l’une des plus importantes aventures du génie civil au XIXe siècle.
En 1863 a lieu un tournant dans la conduite de ce chantier situé en plein désert, l’abandon du travail forcé des paysans égyptiens laissant place à un effort de mécanisation alors sans précédent dans le domaine des travaux publics. La même année, Louis Robert Cuvier figure parmi les cadres français recrutés en qualité de conducteurs par la Compagnie universelle du canal maritime de Suez.
Trois ans plus tard, on le retrouve photographe sur le campement du seuil rocheux d’El Guisr, point culminant à mi-parcours sur le tracé du canal. Depuis cette position stratégique, Cuvier effectue plusieurs expéditions qui le mènent jusqu’à Port-Saïd au nord et à la rade de Suez au sud. Souvent datées du jour de la prise de vue, ses photographies constituent l’un des premiers reportages sur le canal. Dès 1867 soit deux ans avant l’inauguration de ce dernier, une partie d’entre elles est rassemblée dans l’Album de l’Isthme de Suez, dont un exemplaire est conservé au musée d’Orsay.
Alors que le creusement du canal atteint sa dernière phase, le propos du photographe n’est plus d’expliquer par l’image l’organisation novatrice du travail autour des machines à vapeur, ni même de représenter l’évolution des infrastructures de manière séquentielle. La démarche de Cuvier oscille plutôt entre la precision descriptive du regard averti qu’il porte sur les engins mis en œuvre par les entreprises partenaires de la Compagnie, et la restitution de l’amplitude grandiose des principaux théâtres des opérations orchestrées par cette dernière.
En attestant du bon déroulement des travaux comme de la qualité des équipements implantés dans un territoire égyptien en profonde mutation, le fruit de cette campagne est de nature à satisfaire les besoins des différents acteurs en présence, que ce soit sur le plan documentaire ou sur celui de la communication. Médium par excellence de l’âge industriel, la photographie est ici mise au service d’enjeux technologiques, financiers, commerciaux et diplomatiques, tous exacerbés par la tenue, à Paris, de l’Exposition universelle de 1867. Sur fond de rivalité franco-britannique pour le contrôle de la route des Indes, les épreuves livrées par Cuvier pérennisent et diffusent l’image d’un chantier pharaonique, spectacle de la modernité occidentale en Orient.
Louis Robert Cuvier: Le chantier du canal de Suez
Jusqu’au 31 aout 2025
Musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing
75007 Paris, France
www.musee-orsay.fr