La Chine dispose désormais de son premier musée de la photographie porté par les structures publiques. Dans un pays où s’ouvrent sans cesse des musées ou fondations privés liés au succès économique de certains entrepreneurs pour lesquels, sur le modèle de quelques grands patrons occidentaux de l’industrie, investir dans l’art fait partie d’une stratégie d’image et de pouvoir, la différence doit être soulignée.
C’est à Lianzhou, petite ville de 600 000 habitants cernée par les montagnes que vient de s’ouvrir dans une ancienne usine de bonbons ce très bel outil qui s’inscrit dans la continuité logique du festival, créé en 2005 par Duan Yuting. Cette petite femme volontaire et aux objectifs très clairs s’est adjoint la collaboration de François Cheval, l’ancien directeur du Musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône. Mais c’est bien elle qui a réussi à convaincre les autorités de l’intérêt de ce nouvel outil qui va permettre une programmation annuelle en trois étapes.
Dans un pays qui rase facilement les bâtiments anciens le travail de rénovation effectué par le cabinet « O-office Architects », jeune groupe basé à Guangzhou est vraiment remarquable. Respect de la structure, du quartier dans la ville ancienne, souci d’équilibre, belles perspectives, volumes harmonieux, circulation à la fois souple et complexe, tout donne envie de se perdre de niveau en niveau, entre béton ancien et réutilisation des tuiles sur la façade, coup de neuf avec les grandes plaques d’acier inox et agrandissement raisonnable qui ne s’élève pas au-dessus des immeubles environnants mais offre une terrasse en auditorium où la première remise de prix s’est déroulée dans la bonne humeur avec un remarquable concert du groupe Wu Tiao Ren sur fond d’une formidable vidéo au noir et blanc granuleux qui s’accordait fort justement au dialogue de l’accordéon et de la guitare.
On pourrait ainsi continuer sur la justesse de cet outil qui, de façon raisonnable, n’a pas cédé à l’excès dans les surfaces d’exposition ( il faut remplir, ensuite…) et qui permet vraiment de concevoir bien des propositions et d’accueillir généreusement le public qui se sentira forcément bien dans la grande cour qui a conservé son arbre et d’où l’on peut accéder directement au seul endroit de la ville où l’on puisse consommer un excellent café, éventuellement accompagné d’un très bon cheesecake.
Un Musée incontestable, donc, dont pourraient rêver bien des villes occidentales. Quant à la programmation, on attendra charitablement de voir ce que nous proposent les mois à venir. La proposition d’ouverture est, pour le moins, désarmante tant il est difficile de raccorder les propos des quatre artistes présents et de comprendre vraiment pourquoi ils sont là en même temps. Si le travail de très grande qualité du jeune français Baptiste Rabichon explorant de façon brillante les possibles combinaisons entre numérique et analogique veut affirmer que le musée défendra de la création contemporaine pointue et internationale, est-ce suffisamment accessible pour un début.
C’est moins grave que de donner un statut d’artiste à Albert Watson, excellent et efficace professionnel touche-à-tout, du people à la publicité en passant par la mode et la beauté dès lors que les enjeux financiers sont conséquents et qui nous a imposé une projection des 500 pages de son gros livre dans lequel il présente comme des travaux personnels d’irregardables paysages qui sont le fruit d’une commande pour une plaquette de whisky écossais. Le fait qu’il ait fait quelques photos en Chine il y a 40 ans – et que montrer ces images de la Chine d’avant le choix du capitalisme déplaise aux autorités – ne suffit pas à le célébrer ainsi, d’autant que ces instantanés carrés en noir et blanc, dont certains relèvent d’un dialogue avec la photo de propagande d’époque dont accrochées avec des images plus récentes, largement photoshopées et la série du singe dont Watson est fier au point d’oser expliquer – à se demander s’il se rend compte de ce qu’il dit – que l’animal passa une excellente journée à copier – on n’ose écrire singer – les gestes et postures du photographe.
Pour que l’équilibre soit là, deux artistes chinois sont bien présentés, Zhang Hai’er et ses « Filles » tristes en noir et blanc, avec certains tirages sans doute trop grands maintient une très belle série, questionnant l’érotisme, l’apparence, le déguisement, les codes. Quant à Zhuang Hui, le plus largement présenté, sur trois salles, il est incontestablement très intéressant, même si l’on peut être moins sensible à ses travaux récents sur la montagne et préférer des séries plus anciennes, un magnifique panoramique de groupe, d’amusantes séries d’autoportraits avec artistes ou autres, les bains pour hommes ou femmes que la censure a agrémentés parfois de bouts de gaffeur noir pour faire remarquer des organes génitaux qui étaient de toutes façons très flous et, très construite, une série d’installations dans le désert.
Lianzhou offre à la Chine son premier Musée pour la Photographie. C’est une excellente nouvelle puisqu’il s’agit d’un magnifique outil, juste, que l’on peut envier. Reste à attendre la programmation à venir et, sur place à créer un public. C’est là le vrai enjeu.
Christian Caujolle
Aujourd’hui commissaire indépendant, Christian Caujolle a notamment été directeur de la photographie au journal Libération, a créé l’agence et la galerie VU’, et enseigne à l’École Nationale Supérieure Louis Lumière, à Paris. Il est aussi le directeur artistique du festival Photo Phnom Penh.
Lianzhou Foto / Lianzhou Museum of Photography
No.14 Tuanjie Rd., Overseas Chinese New Town,
Yuexiu district, Guangzhou, P. C. 510095
Chine