Il est des rapprochements heureux. Quelle meilleure place que le Musée de la Photographie « Charles Nègre », de Nice, pour exposer quelques photographies judicieusement prélevées dans les œuvres de Vivian Maier. L’entente des images, nous allons le découvrir, est parfaite entre ces deux grands découvreurs de la photographie pour figer le temps, l’espace et l’invisibilité de l’émotion et de l’intelligence.
C’est dans ce bel écrin niçois, dédié à la photographie, que l’exposition du Palais du Luxembourg [Paris] a posé ses valises d’images, réalisées par Vivian Maier. Le brillant commissariat, assuré par Anne Morin, par sa simplicité et ses choix, est un bel éloge aux œuvres de l’auteure. Je n’insisterai sur les histoires, à la limite du conte, de la vie personnelle de Vivian et de ses travaux. Beaucoup d’encre et de bla bla ont été déversés, pour une légende qui n’en est pas une. Je vous renvoie au très beau film, projeté pendant l’exposition, qui, à travers les yeux et les impressions de ceux qui l’ont côtoyé, projettent Vivian comme une femme normale, plutôt un peu « carrée ». Cela ne l’empêche nullement d’être une créatrice géniale, dans une vie d’ombres fantomatiques, qui s’est consacrée à une saisie multivalente de témoignages de portée psychologique. Un personnage à la fois décalé, comme majorité des auteurs reconnus, mais tellement juste pour laisser une trace dans les évolutions de nos inspirations.
Cette exposition avec son accueil, sa scénographie, ses options de commissariat, reste très professionnelle et sensuelle. En sus, le film très originalement conçu nous fait vivre avec Vivian et ses réalisations, sans ressembler à ces stupides vidéogrammes idolâtres qui deviennent monnaie courante dans nombre d’expositions. Il n’y a rien à dire de fâcheux à propos de cette manifestation dans laquelle les images sont reines.
Les images de Vivian Maier, parlons-en. Ôtons-nous de la tête que cette photographe jouait le rôle d’une naïve sur laquelle l’esprit de la lumière serait tombé, par hasard, pour lui permettre de nous offrir des miracles ? Autodidacte, certes ; mais, avec de la famille (française du côté de sa mère) douée pour la photographie et qu’elle a fréquentée pendant son long séjour en France. Séjour avec – déjà – un appareil photographique entre les mains et quelques prises de vues paysagères intéressantes. Enfin, notre grande, soi-disant, naïve acquiert pour travailler les « Rolls-Royce », de l’époque, comme appareils pour ses prises de vues des Rolleiflex, puis plus tard un Leica. Dans son budget, ce n’était certainement pas pour frimer. Elle a également travaillé en chambre noire qu’elle a abandonné, un peu trop tôt, par son mode de vie et ses autres contraintes professionnelles. Ne nous trompons pas, cette femme s’est investie dans de très nombreux compartiments de la photographie comme tous les très grands photographes de cette période du vingtième siècle. Le contexte est planté, quid des images !
Eh bien, il y a encore un préambule, d’ailleurs, il n’y a que ça dans les œuvres de Vivian. Ce qui nous est présenté correspondant à des images de planches contact, techniquement agrandies, certes ; mais, brutes. Brutes de développement. Certaines ont été découvertes sur des films non développés. Imaginez ces chefs-d’œuvre, en devenir, tirés, sous les directives de Vivian, par un super tireur, comme l’ont fait nos collègues devenus des « stars » de l’image.
Les cadrages, Vivian travaillait avec des appareils moyens formats carrés. Dans la composition de ses images, il est immédiatement évident qu’elle avait compris, son impossibilité (probablement financière) de travailler avec sa matière première, ses pellicules insolées, pour faire aboutir son travail. Elle trouve le moyen de tirer au mieux parti de son appareil dans des compositions, judicieuses et innovatrices. Elle optimalise ses cadrages en exploitant au maximum la partie disponible de la pellicule, avec des bordures limites sans sortir du champ. Tous ceux qui ont pratiqué, le 6 x 6 en monofocale, se souviennent de l’anticipation nécessaire, sauf à squatter dans un studio. Quand tu te trouves dans la rue devant un monument, c’est déjà problématique, alors devant un, ou des personnages, cela devient improbable ! Excepté quelques vues qui nécessiteraient un recadrage valorisant, la construction de lecture est optimale, jusque dans les points de détail.
Les angles de vues s’appuient essentiellement sur une visée ventrale presque imposée par l’appareil avec ses deux optiques associées (champ de vision et mise au point). Une fois encore, notre photographe, a parfaitement intégré tout ce qu’elle peut extraire de cette constatation pour en tirer profit. Vivian exploite avec précision des angles de vues adaptés qui lui permettent une mise en valeur des sujets comme elle le désire. Elle conservera cet instinct du cadrage et de l’angle de vue, lorsque qu’elle va acquérir un boitier Leica, mieux adapté aux scènes colorées et à hauteur de l’œil.
Il reste la maitrise de l’optique avec son diaphragme et son obturateur. Coté profondeur de champs, un dosage toujours subtil a été préparé par ses soins, en fonction des circonstances, impossible de faire autrement dans ces choix. Le point d’orgue reste, bien entendu, le déclic parfaitement anticipé par la photographe. L’alignement de tous les paramètres, nombreux, variés et guère aisés, est optimum dans la quasi-totalité des images qui nous sont présentées.
Un exploit lorsque nous sommes conscients que Vivian Maier n’avait pas accès à la postproduction sur ses prises de vues. Comme nous l’avons évoqué, pas de planches contact, pas de reprises de cadrage, pas de laboratoires avec un tireur performant, pas d’agences de diffusion, etc.
Cette photographe possédait un vrai don de l’anticipation, peut-être inné ? Toujours est-il que chaque œuvre de cette créatrice nous interpelle par ses multiples facettes. La lecture de chaque image de Vivian présente nombre d’aspects : témoignage, interprétation, sourire, objectivité, pleurs, interrogation, etc.
Vivian Maier est certainement l’un des plus grands photographes de son époque, et même d’autres périodes. Il est dommage que cette femme, libre et voyageuse, n’ait pas eu accès aux facilités d’une grande agence de diffusion et aux assistances professionnelles performantes que ses images méritent.
N’hésitez pas un instant pour visiter cette sincère exposition, les images présentées justifient votre effort et organisez-vous pour découvrir le film de 83 minutes, au montage très étonnant, qui vous plongera dans le monde de Vivian.
Thierry Maindrault
EXPOSITION
Vivian Maier • Anthology
Musée de la Photographie Charles Nègre
place Pierre Gautier
06000 NICE
du 19 octobre 2024 au 16 mars 2025,
ouvert tous les jours sauf les lundis
de 10 h 00 à 12 h 30 et de 13 h 30 à 18 h 00
film est programmé à 10 h 30, 14 h 00 et 15 h 45.