Voici Victor Erchov.
Cet homme est la couture
Entre la photo soviétique et celle d’après.
Il devint celui d’après bien avant
Mais il nous quitta en restant
Tel une couture
Ou tel un pont.
Victor Erchov vint travailler à la revue Sovetski Soyouz (Union Soviétique) au milieu des années soixante. C’était un jeune homme extrêmement vivant qui ne tenait pas en place et se passionnait pour la photo. On le reconnaissait encore à ce qu’il adorait montrer ses nouvelles photos à tout un chacun, en discuter et récolter les avis. Il en est ainsi des poètes qui aiment réciter leurs propres vers et pour qui avoir un auditoire est une nécessité vitale. L’important dans tout cela est qu’il ne montrait pas les photos que la revue lui commandait, mais celles qu’il avait faites pour fixer ce qu’il avait vu. C’était toujours passionnant. Parce qu’il s’agissait de choses qu’on ne publiait pas mais qui existaient pourtant autour de nous. Victor ne passait jamais à côté, il prenait des photos tout en sachant que ces images ne seraient jamais publiées. Ses prises de vue étaient précises et expressives.
J’avais autour de moi plusieurs personnes de ce type et leurs noms sont aujourd’hui bien connus : Alexandre Lapin, Alexandre Slussarev, Boris Mikhailov, Vladimir Semine, Lialia Kouznetsova… C’étaient des « mal-voyants » (par analogie aux mal-pensants) ; ce nom leur resta grâce aux éditeurs finlandais qui publièrent à la fin des années 1980 un album avec les images non officielles de plusieurs photographes d’URSS. Erchov, lui, n’a pas eu la chance de devenir connu. Ses collègues, comme nous l’avons dit, l’appréciaient, trouvaient ses images intéressantes, mais il ne vécut pas jusqu’au jour où « les goûts des critiques et des amateurs de la photographie se décantèrent et qu’apparut un nouvel Olympe photographique constitué d’auteurs élus et définitivement adoptés ». Parmi eux se trouvaient aussi ceux qu’on avait reniés et prescrits précédemment et qui dorénavant étaient officiellement reconnus. Victor Erchov ne fut pas de ce groupe d’élus ; presque oublié, il est rarement cité dans les travaux consacrés à l’histoire de la photographie russe.
Nous voulons aujourd’hui combler cette lacune et rendre ce qui lui est dû à Victor Erchov, ce photographe à l’œil perçant, fermement convaincu qu’il faut photographier non pas « la rue de rêve » du rédacteur en chef, mais ce qu’on voit soi-même et de la manière dont on le voit. Cette exposition a pu être réalisée grâce à la sœur cadette de Victor, Galina Erchova, qui a conservé ses archives et en a fait don à la Maison de la photographie de Moscou.
Youri Rybtchinski