Le photographe américain Saul Leiter est mort ce mardi 26 novembre à l’âge de 89 ans, information confirmée par Howard Greenberg. Reconnu sur le tard comme un précurseur de la couleur, il a débuté son utilisation dès les années 50, à une époque où les photographes ne juraient que par le noir et blanc, et a par la suite contribué à son éclosion. Timide, tendre et un peu grincheux, Saul Leiter aimait les compositions presque abstraites qu’il arrivait à déceler dans la rue, lorsqu’il allait simplement faire ses courses ou prendre un café dans son quartier à New York. Ses images révèlent encore l’émerveillement et l’humour qui animaient son regard sur le monde, ainsi que son goût pour la peinture, celle de Vuillard et Bonnard en particulier. Pour gagner sa vie, il était devenu photographe de mode, notamment pour le célèbre magazine américain Harper’s Bazar. Mais ce sont bien ses explorations du quotidien qui firent l’objet de quelques livres et expositions remarqués à partir des années 90, années durant lesquelles la sphère photographique a commencé à le considérer comme l’égal de William Eggleston. Sa célébrité n’aura duré qu’une vingtaine d’années. Et même reconnu, Saul Leiter n’a jamais roulé sur l’or, peut-être parce qu’il avait l’humilité des « grands photographes ».
Jonas Cuénin
http://www.howardgreenberg.com
Nour en profitons pour partager le très bel article de Brigitte Ollier publié dans Libération, dans le cadre de l’exposition de Saul Leiter à la Fondation Henri Cartier Bresson en mars 2008.
Leiter, en toute simplicité
Les vieux photographes ont la cote, et s’ils sont américains, c’est l’extase. Tant mieux pour Saul Leiter, doublement honoré par une exposition à la Fondation Henri Cartier-Bresson, et la parution d’un Photo Poche (éditions Actes Sud), devenant soudain, à 84 ans, la coqueluche de toutes les rédactions. Cet Américain est pourtant réputé pour sa discrétion, voire son désir d’anonymat : «être connu ne m’a jamais intéressé», confiait-il déjà à Margaret Loke, journaliste du New York Times, le 14 février 1997. Cet état d’esprit – ne pas s’efforcer de réussir et s’adonner aux lois du hasard – signe une oeuvre remarquable, nourrie d’un amour extrême pour les livres d’art et une insouciance presque surnaturelle si on la compare aux artistes d’aujourd’hui si pressés d’arriver au musée.
Autodidacte. Son père polyglotte l’aurait voulu rabbin, déception. Contrairement à ses frères, Leiter abandonne ses études de théologie à Cleveland, et se jette à corps perdu dans la peinture. Première oeuvre : une copie de Vermeer (qu’on lui volera !). Plus tard, cet autodidacte, enraciné chaque été à la bibliothèque de Pittsburgh, s’installe à New York en 1946. Il y côtoie la fine fleur des artistes du cru, Eugene Smith, Robert Frank, Louis Faurer et les peintres expressionnistes abstraits, dont Richard Poussette-Dart – qui le pousse vers la photographie. Hobby frénétique d’adolescent (sa mère lui offre son premier appareil, un Detrola), la photographie finit par être un job à plein-temps, grâce au Harper’s Bazaar qui l’enrôle en 1958.
Avec la mode et la publicité, Saul Leiter trouve son champ d’expression, et c’est ainsi qu’il était apparu en Europe en 1991, l’historien Martin Harrison lui consacrant quelques pages dans son monumental Appearances : Fashion Photography Since 1945. Son atout : un goût entêtant pour la couleur, quand l’époque consacre le noir et blanc, signe de reconnaissance des reporters estampillés Life. Il est plus qu’un maître de la couleur, il l’emploie avec bonheur, fluidifiant instantanément des masses de rouge (sa couleur fétiche), de jaune, de bleu et imposant un regard très vertical. A cet égard, les nombreux vintages accrochés à la Fondaction HCB sont presque un choc émotionnel, on n’en revient pas de voir sur une toute petite surface autant de raffinement, comme si chaque reproduction était un diamant.
Rêverie. Car, au-delà de ses clichés de travail parus ici et là (Vogue anglais, Nova,Elle), Leiter poursuit en solitaire une réflexion personnelle, dérobant dans son quartier préféré, à Manhattan, des bouts de vie. Il est un photographe du dehors, il est dans le même mood que Faurer ou Frank à leurs débuts, entre découverte et errance, surprise et empathie pour les gens croisés. Tout le captive, et il s’approche sans se faire remarquer, accident de voiture, vieille dame en fourrure, sans-abri au bord du gouffre, grosses femmes en goguette. On pense tout à coup à Sabine Weiss et à François-Marie Banier, qui prennent aussi la rue à témoin et poursuivent dans un autre tempo l’histoire de la rue universelle.
Mais au-delà de cette urbanité, son sujet de prédilection, Saul Leiter reste un spectateur du monde. De sa série sur les dos à celle du métro, des natures mortes (chaussures, néons,miroirs) à cette façon unique qu’il a de ravir les flocons de neige, il ne cesse d’arpenter la surface même de la photographie. Il médite. Comme dans ce précieux autoportrait des années 50, où Leiter apparaît, la tête ailleurs, les yeux baissés, dans un état de rêverie immobile, comme s’il avait froid.
Brigitte Ollier
A lire également, l’hommage de Margalit Fox dans le New York Times: http://www.nytimes.com/2013/11/28/arts/saul-leiter-photographer-with-a-palette-for-new-york-dies-at-89.html?hp&_r=0