J’ai rencontré René Burri a Vevey, sur la terrasse ensoleillée d’un hôtel bordant le lac. Il m’a raconté en quelques minutes moult anecdotes sur la douceur de vivre, avec des yeux pétillants et de gracieux mouvements de cigare.
Il y présentait une exposition de son mythique portrait de Che Guevara, ou plus précisément des objets dérivés qui s’était attribués l’image. Boites de bonbons, porte-cigarettes, posters, pins, tee-shirts, coussins, étiquettes de vin et même bonnets de père Noel : le Che, icône parfois décontextualisée jusqu’au paradoxe.
René Burri racontait avec sa légèreté innée leur rencontre à la Havane, en 1963, alors qu’il était en commande pour Look Magazine. Tout commence par un avion en retard, et un événement raté, l’impression d’avoir manqué l’occasion. Et puis finalement il accompagne une journaliste à une interview d’Ernesto Che Guevara au ministère de l’Industrie. Il est frustré de sa tenue de combat, de sa façon irrévérencieuse de mâchouiller son cigare, mais en même temps il est fasciné par son attitude de révolutionnaire. « Il était arrogant. Je l’étais aussi, a cette époque ! », blaguait-il. Ils se reconnaissent, se respectent aussitôt, tacitement, partageant le même incroyable charisme.
Chaque aventure devenait dans la bouche de René Burri une anecdote étonnante, captivante, ponctuée d’humour, lui valant l’attention inconditionnelle de tous — des femmes qu’il aimait tant et de ses compères qui l’admiraient. Avec son irrésistible bagou, il avait instauré une tradition au sein de Magnum, qu’il avait rejoint en 1955 : chaque année, lors de l’assemblée générale, il se transformait en flamboyant metteur en scène et dirigeait d’un ton enjoué les photographes dans les contextes les plus rocambolesques pour réaliser une photo de groupe dont chacun se souvient. Ces portraits de famille représentent à eux seuls l’importance qu’il a eu au sein de l’agence, qui dépasse son incroyable production photographique.