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Mort de Michel vanden Eeckhoudt ( 1947-2015 )

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Ce devait être en 1981, rue de Lorraine, dans les locaux du Libération d’alors. Je recevais pratiquement tous les photographes qui en faisaient la demande mais tous n’ont pas laissé de souvenir. Michel, si. Très précis même. Le souvenir d’une rencontre, d’une évidence. Il m’a tout d’abord donné un exemplaire de « Chroniques immigrées », plongée dans un univers qui concernait alors tout le monde militant. Evidence de dignité, de regards, de lumières, d’intérieurs, de proximité. Il avait travaillé durant deux ans avec Christian Carez, son complice d’alors avec qui il devait, sur un autre ton, explorer l’univers des « Concours belges ».

Ce jour là, Michel vanden Eeckhoudt voulait me montrer l’aboutissement de plusieurs années d’images glanées dans les zoos. Un constat implacable d’indignité absolue, de tristesse profonde, mais sur dans une tonalité débarrassée de toute dramatisation. Un constat élégant, fluide, guidé par la lumière, les reflets, les cadrages impeccables dont la redoutable précision rendait évidente l’aberration de ces lieux d’enfermement. Une pratique souple du Leica mais pas dans la tradition des épigones de Cartier-Bresson soucieux de démontrer leur capacité à briller dans l’exercice de composition. Non, il m’évoquait davantage les auteurs de bande dessinée de son pays, la Belgique. Une sorte de tenant de la ligne claire en photographie. Michel voulait transformer cela en livre. J’ai appelé Robert Delpire. Cela me semblait une évidence. Et Zoologies est sorti un an plus tard.

Pendant ce temps, il y eut les commandes pour Libération, une complicité, des rires, des échanges courtois et fermes que pimentait toujours la nécessaire dose d’humour pince sans rire qui faisait mouche. C’est tout naturellement qu’en 1986, lors de la création de l’agence VU’, Michel en fut l’un des membres  fondateurs. Il y amena son regard, sa distance aussi, restant concentré sur ses projets, indépendant mais toujours au rendez-vous pour des commandes, des aventures collectives, des expositions.

C’est avec Robert Delpire, dans la continuité d’une fidélité et d’un respect mutuels qu’il a publié ses meilleurs livres. Duo en 2000, chronique des relations entre humains et animaux, jeux de ressemblances qui n’est pas toujours à l’avantage des bipèdes et que traverse ce sourire qui finira bien vite dans une tristesse profonde, dans une permanente interrogation sur la bêtise humaine, incurable, sur les aberrations du quotidien, incontournables. En conclusion, Doux-amer qui accompagna la remarquable exposition présentée en 2013 aux Rencontres d’Arles résume tout dans son titre. Un regard et une conviction. Un regard tendre, humain, profondément humain, généreux, tendu vers les autres, émerveillé de la façon dont les noirs et les blancs construisent l’espace, font vibrer les gris, et un constat amer mais jamais désespéré qui, en tout cas, dissimulait derrière une pirouette graphique le sentiment profond.

Sous le regard exigeant de Michel vanden Eeckhoudt le monde apparaît tout d’abord comme une collection de plaisanteries, de gags, aussi bien dans l’univers du travail que dans la rue qui peut toujours vous étonner de la présence d’un enfant dont le visage se dédouble d’un masque quand un autre est sublimé par un éclat de soleil ou que le propriétaire d’un minuscule cabot qu’il traîne au bout de sa laisse semble poursuivi par l’immensité menaçante d’une ombre pointue. Mais le sourire qu’il déclenche immanquablement avec ses instantanés – il avait un sacré coup d’œil, anticipant les situations pour les découper au scalpel sans fioriture ni effet – ne peut durer. L’accumulation des images nous plonge dans un monde qui ne fonctionne pas, bloqué, grippé. Mieux vaut en sourire, même si l’on n’en pense pas moins, au fond.

Michel vanden Eeckhoudt, 1947-2015. Aujourd’hui, c’est vraiment amer.

https://www.agencevu.com/photographers/photographer.php?id=83

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