Grâce à leur style épuré, ses élégantes photographies noir et blanc ont charmé et inspiré les plus grands couturiers. C’est une grande dame de la mode qui s’est éteinte lundi.
Bien que son œuvre soit apparue dans les plus grands magazines ou les publicités de mode, Lillian Bassman demeurera avant tout une artiste. Par ses photographies bien sûr, mais aussi par son attitude. Celle d’une dame que l’on disait indépendante, peu conventionnelle, amoureuse de la bohème surtout. Une autodidacte qui a embrassé la photographie de mode avec une profonde passion pour l’élégance, ses lignes et ses codes, sans jamais réellement se plier à ceux qu’on pouvait lui imposer.
Née en 1917 à Brooklyn, elle grandit dans le Bronx, à New York. Après des études de stylisme industriel à la Textile High School, elle prend des cours du soir d’illustration de mode, réalise un peu de peinture, et montre ses travaux au célèbre directeur artistique d’Harper’s Bazaar, Alexey Brodovitch. Impressionné, celui qui a formé, entre autre, Avedon ou Penn la prend sous son aile et le magazine l’engage, en 1941, pour être l’assistante de son mentor. Lorsqu’en 1945, le magazine créé une « petite sœur » pour les adolescentes — Junior Bazaar —, Lillian Bassman en devient la co-directrice artistique avec Brodovitch. Elle choisit d’introduire dans ses pages les photographies de Robert Frank, Louis Faurer ou Avedon, qui lui prête aussi son studio lorsqu’il part pour des séances photo à Paris. En se familiarisant avec les plateaux, le regard de ses photographes ou la chambre noire, elle abandonne finalement en 1948 la direction artistique pour se consacrer pleinement à la photographie.
Ce sont les années 1940 et 1950 qui la révèlent. Tout d’abord car être une femme photographe de mode n’est, à l’époque, pas usuel. Aussi car Lillian Bassman a un don naturel pour développer une relation privilégiée avec ses modèles. L’actrice Barbara Mullen – sa muse – dira avoir ressenti une véritable liberté auprès d’elle : « Mes bras, mes jambes, j’avais l’impression de pouvoir faire tout ce que je voulais avec. C’était comme être au paradis. » De « cette danse où chacune se comprenait », selon les mots de Bassman au Los Angeles Times en 2012, nait une série de photographies à la beauté insolente. La photographe capture alors dans ces années là un monde élégant, peuplé de femmes aux longues jambes et cous dégarnis, habillées avec raffinement, sur des images noir et blanc aux contrastes forcés. Le milieu du XXe siècle est à l’âge d’or de la création de mode et elle photographie la femme comme elle la voit : féminine, sereine et élégante. « C’est le point de vue d’une femme sur une autre femme » confiait-elle. Avec Lillian Bassman, la silhouette féminine est anoblie.
De la mode aux galeries d’art
Dans les années 1970, alors que la mode prend un essor économique, amenant excentricité et égocentrisme, Lillian Bassman perd subitement tout intérêt pour le milieu. Les « modèles superstars », comme elle les appellera en 2009 dans une interview au New York Times, finissent par la « rendre malade ». Et celui des publicités et campagnes commerciales en tout genre en termine aussi d’avoir sa faveur. En 1997, elle déclare au grand quotidien : « Pour la publicité, j’ai photographié tout ce qui pouvait l’être : enfants, nourriture, alcool, cigarettes, lingerie, produits de beauté. »
Déçue, Lillian Bassman se consacre alors à ses projets personnels et abandonne la photographie de mode, consacrant son temps à des travaux plus artistiques et des sujets classiques comme les natures mortes ou les nus. Avec son habituelle audace, elle déclare en 1994 au magazine B & W être intéressée par « la création d’un nouveau genre d’image ; voir autre chose que ce que l’appareil photo pouvait montrer ». Quelques années auparavant, en 1969, elle jette des centaines de photographies – le travail de toute une vie – dans des sacs-poubelle, qu’elle égare chez elle. Ce n’est que vingt ans plus tard, tombant par hasard sur l’un d’eux oublié dans sa chambre de l’Upper East Side, qu’elle retrouve la passion qui l’animait dans sa jeunesse. Les images refont surface et, devant l’insistance de Martin Harrison, historien et conservateur de photographies de mode, Lillian Bassman reprend ces travaux. Elle tire à nouveau ses vieux négatifs, y ajoutant des techniques de blanchissement et des agents tonifiants, comme appris dans les années 1940, créant ainsi de nouvelles photographies à la touche abstraite et mystérieuse. Ses « réinterprétations » – comme elle les appelle – trouvent une nouvelle génération d’admirateurs.
Lillian Bassman a ainsi repris le chemin de la photographie en 1990 jusqu’à la fin de sa vie, s’adaptant aux nouvelles technologies photographiques comme le numérique ou encore Photoshop. « Tout le monde trouve inconcevable d’être aussi productif à mon âge, mais je ne sais pas qui je serais si j’arrêtais de travailler. En plus, j’ai toujours l’impression d’avoir 25 ans ! » Si bien que les dernières années ont vu naitre une série d’expositions ou d’ouvrages dédiés à son œuvre. A commencer par les livres Lillian Bassman, en 1997, et Lillian Bassman : Women, en 2009, publiés en même temps qu’une exposition éponymes à la Peter Fetterman Gallery de Santa Monica, ou ses apparitions à la Victoria and Albert Museum de Londres, la Galleria Sozzani de Milan ou au Centre National de la Photographie à Paris. Son dernier ouvrage, Lillian Bassman: Lingerie est à paraitre chez Abrams le 1er avril prochain.
Décédée lundi à 94 ans dans son appartement new-yorkais, Lillian Bassman aura donc su se faire une place aussi bien dans le monde de la photographie de mode que dans les galeries d’art. Elle force surtout le respect par sa force de persévérance et son opiniâtreté. Elle laisse un fils, une fille, et trois petits enfants, mais on se souviendra de Lillian Bassman comme de ce regard qui contemplait la femme avec respect.
Jonas Cuénin