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Montpellier –L’Amérique de Brassaï

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Le photographe Brassaï (1899–1984) a longtemps eu peur d’aller en Amérique. Il faut dire que son ami l’écrivain Henri Miller, qui avait fui New York pour Paris dans les années 1930, n’avait eu de cesse de lui dépeindre son pays comme une société hostile et fermée, sans pitié pour les faibles. Or Brassaï a longtemps douté de lui. La foi en sa vocation d’artiste ne s’affirme vraiment qu’à la parution de son livre culte, Paris de Nuit (1933), errance nocturne dans une capitale mystérieuse et magique. En 1932, le livre n’est pas encore publié, et Brassaï préfère décliner la proposition d’une exposition chez le galeriste Julien Levy à New York. « A l’époque, Brassaï était opérateur sur un film du cinéaste Alexandre Korda, ce qui lui prenait beaucoup de temps, explique Agnès de Gouvion Saint Cyr, commissaire de l’exposition. Il a préféré assurer son casse-croûte. Mais surtout il ne se sentait pas prêt ».

Pendant plus de vingt ans, alors que le succès de son Paris de Nuit traverse l’Atlantique, Brassaï s’obstinera à bouder l’Amérique. En 1935, le photographe a pourtant été recruté par Carmel Snow, directrice du magazine de mode Harper’s Bazaar, à des conditions privilégiées pour l’époque : il a carte blanche pour faire une double page dans chaque numéro, ce qui lui assure un revenu régulier. Il y publiera des portraits d’artistes, des images de voyage, pendant près de trente ans. A New York, Brassaï est aussi exposé plusieurs fois au MoMA, où il a trouvé un supporteur fervent et assidu en la personne du directeur, le photographe Edward Steichen.

Mais il faudra attendre 1957 pour que le photographe pose enfin le pied aux Etats-Unis. A cette date, il n’a plus peur d’affronter l’intimidante Amérique : ses célèbres graffitis, œuvres d’art brut collectées dans la rue et transfigurées par la photographie, ont donné lieu à une exposition en 1956 au MoMA, dont le succès a dépassé toutes ses espérances. Et quand le luxueux magazine Holiday lui passe une commande, le photographe accepte. Pour 3 000 dollars, il est chargé de livrer sa vision personnelle des Etats-Unis : il ira à New York et en Louisiane, avec des contraintes minimes. On lui suggère seulement de prendre des images de la 3e avenue de New York, et on lui recommande de faire de la couleur.

C’est par hasard qu’Agnès de Gouvion Saint Cyr a retrouvé dans les archives de Brassaï les diapositives de cette commande pour Holiday, restée totalement méconnue. Elle en fait un livre, et une exposition au Pavillon populaire de Montpellier, en réalisant des tirages modernes. On a bien du mal à y reconnaître les photos pensives et soigneusement composées, parfois posées, du Brassaï de Paris de Nuit : aux Etats-Unis, le photographe semble plus proche de la photo de rue, instantanée et mouvementée. « En France, Brassaï était dans une position de guetteur. C’était impossible à New York, dans la foule et le bruit », explique Agnès de Gouvion Saint Cyr.

A bien des égards, cette aventure américaine ressemble à une parenthèse, stylistique et temporelle, dans la carrière de Brassaï. Comme si le photographe avait saisi l’opportunité de cette commande pour essayer de nouvelles voies, plus ou moins fructueuses. Brassaï a toujours travaillé au moyen format, il va désormais changer d’appareil. Et pour cause : en Louisiane, il fait tomber son appareil dans le bayou ! Il sera donc forcé d’utiliser son Leica, un nouvel outil qu’il avait emporté avec lui aux Etats-Unis dans l’intention de le tester. Ce leica, appareil prisé des photojournalistes, se révélera finalement adapté à la vie urbaine américaine : il lui permet de photographier au vol les passants pressés, les robes à froufrous qui virevoltent, les enfants qui jouent à la balançoire. Brassaï suit les femmes dans la rue, tourne autour de son sujet, photographie en séquences.

Autre nouveauté, Brassaï va également se servir de la couleur, qu’il avait déjà testée auparavant, à une nouvelle échelle. Il en use surtout pour mettre en valeur les couleurs tonitruantes de la société de consommation : les toilettes en vogue à l’époque, qui usent et abusent des rayures et des carreaux, les lumières des enseignes newyorkaises qu’il transforme en un feu d’artifice de néons éclatants. Quelques images donnent à voir un marginal appréhendé par la police ou un immeuble aux vitres explosées, mais dans l’ensemble, Brassaï semble surtout étourdi par l’énergie multicolore du nouveau monde. L’Amérique, cet inconnu si longtemps redouté, devient un pays de cocagne aux couleurs enchanteresses.

Claire Guillot, Journaliste au Monde. Cet article a été publié dans Le Monde Magazine, juin 2011.

Brassaï en Amérique, 1957

Jusqu’au 30 octobre

Pavillon Populaire
Tous les jours sauf le lundi de 10h à 12h30 et de 13h30 à 18h
Entrée libre
Esplanade Charles De Gaulle
34 000 Montpellier

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