Tsiganes, roms, manouches, gens du voyage…La représentation photographique des peuples itinérants est présentée au Musée de l’histoire de l’immigration à Paris. Belle panoplie de visages de ces humains méconnus.
Comme un soleil noir. La face a moitié rayonnante, à moitié obscurcie. Un léger sourire et des yeux plissés qui vous regarde d’un air à la fois moqueur et digne. Tel est le visage de cette gitane prise en photographie par Jacques Henri Lartigue en 1933 à Grenade. A l’instar du photographe, nombreux sont ceux qui dans l’histoire seront fascinés par le mode de vie des nomades et chercheront à les immortaliser, pour le meilleur et pour le pire.
La proposition du Musée de l’histoire de l’immigration à Paris est d’évoquer cette « histoire photographique » de 1860 à 1980 ainsi que de la compléter avec le très beau regard contemporain de Mathieu Pernot et sa série « Les Gorgan ».
Le photographe est d’ailleurs l’un des commissaires de l’exposition et, coiffé des deux casquettes, exposant/exposé, il offre une riche matière à la contemplation de ces peuples nomades.
Une guitare à la main
Tout commence avec une démarche anthropologique à la fin du XIXème siècle. Des savants s’intéressent à ceux qu’on nomme les tsiganes et les prennent en photographie dans leurs tenues de tous les jours. Les bohémiens posent allègrement devant l’objectif. Certains ont une guitare à la main, comme sur les clichés du Prince Roland Bonaparte qui les immortalise vers 1880. Philippe Potteau, lui, travaille au Muséum d’histoire naturelle de Pairs quand il réalise le portrait de plusieurs gitans vers 1865. Bouleversantes images d’une approche timide, mais sensible à ces personnes qui vivent autrement que la majorité de la société et intriguent du même coup. André Kertész photographie une famille de gitans près de la porte de Vanves en 1931 quand Eugène Atget prend lui les « zoniers » en périphérie de Paris qui habitent des roulottes faites de bric et de broc.
Police
Mais les gitans passionnent aussi les autorités françaises. Parce qu’ils sont mobiles, ils font peur : ils sont potentiellement incontrôlables. L’Etat va donc peu à peu contraindre les gens du voyage à un fichage régulier. Une loi est crée en 1912 pour encadrer ces populations. La police établit des portraits photographiques que le Musée se fait fort d’exposer. Il y a notamment cette série prise par un auteur inconnu à Dijon vers 1908-1910 qui photographie les policiers en train de relever les empreintes digitales et faire des photographies judiciaires d’une famille de gitans. Très émouvants aussi sont les carnets anthropométriques que les gens du voyage était obligés d’avoir sur eux et qui, surannés, les empreintes digitales des nomades dessus, sont présentés dans une vitrine de l’exposition.
« Mondes »
Plus loin encore dans le contrôle sont les années de guerre. Pendant la Première guerre mondiale les nomades sont contraints de rester parfois dans des villages, interdits de changer de lieux de vie. Lors de la Seconde Guerre mondiale, ils seront des milliers à être internés dans une trentaine de camps. Quelques photographies documentent cette histoire tragique avant que l’exposition n’aborde la constellation gitane à travers le monde. Ainsi, comme le dit le titre de l’exposition, ce sont plusieurs « mondes tsiganes » qui sont à découvrir. Une pièce ovale nous permet de voir les communautés nomades sur plusieurs continents. D’artisans roumains aux gitans brésiliens, de nomades chiliens aux gypsies de New-York, c’est tout un panorama qui nous est proposé et qui donne à penser quant à l’universalité des tsiganes.
Interdit
Vient alors l’époque moderne, d’après-guerre, l’heure où les gitans peinent de plus en plus à garder leur mode de vie nomade. Un mur de l’exposition est consacrée à des photographies de panneaux sur lesquels ont peut lire : « stationnement interdit aux nomades » tandis qu’André Gros enregistre avec son appareil photo l’évacuation et l’incendie du camp des tsiganes au pont des Catalans à Toulouse en mai 1963. Les gens du voyage de plus en plus incompris par la société qui les entoure…L’exposition s’attarde alors sur les beaux destins de deux hommes, Matéo Maximoff et Jan Yoors. Le premier est le fils d’un rom russe et d’une mère manouche française. Toute sa vie il photographiera la communauté dans laquelle il vit et se liera d’amitié avec de grands photographes sensibles à ce motif que sont les gitans, comme par exemple Josef Koudelka. L’autre, Jan Yoors, est un photographe belge qui, alors qu’il avait douze ans, assiste à un grand rassemblement roms. Il demandera l’autorisation à ses parents de suivre une compagnie de tsiganes, et ses parents, libéraux, artistes, accepteront. Plus tard, après être allé à New York où il rencontrera des gitans, il reviendra en Belgique et photographiera des connaissances quarante ans plus tard.
Vibrants visages
L’exposition s’ouvre alors sur le travail de Mathieu Pernot, « Les Gorgan », présenté au festival d’Arles l’été dernier. Les Gorgan sont les membres d’une famille de manouche qui vivent non loin d’Arles et que Mathieu Pernot a photographié en 1995 avant de retourner les voir l’été 2016. Il y a Ninaï, la mère de famille, qui se promène, cigarette au bec, au bord d’une caravane. Il y a Johny, son époux, passionné par les voitures et qui ne s’est jamais séparé de sa BMW en dépit du retrait de son permis de conduire. Il y Priscilla, l’aînée des trois soeurs Gorgan, la plus timide d’entre elles et qui met souvent ses mains sur son visage quand Mathieu Pernot appuie sur l’objectif. Il y a Rocky, l’ainé de la fratrie, que le photographe a rencontré lorsqu’il avait douze ans et qui est décédé brutalement à l’âge de trente ans. Visages vibrants d’où nous sentons que Mathieu Pernot a capturé toute l’intensité de ces rencontres. « J’ai voulu faire des portraits individuels. Casser l’étiquette de « tsigane » en donnant les visages et les voix d’une famille », dit le photographe.
Jean-Baptiste Gauvin
Mondes Tsiganes
13 mars – 26 aout 2018
Musée de l’histoire de l’immigration
293 Avenue Daumesnil
75012 Paris
France