Le Mois de la Photographie à Minsk s’est tenu en octobre dernier. Françoise Huguier, la photographe française y a présenté sa série Komunalka, et partage avec nous son voyage en Biélorussie à l’occasion de cette manifestation.
Je retrouve Minsk encore plus propre qu’il y a 7 ans, lorsque je m’y étais rendue pour un reportage sur les traces de « la retraite de Russie de Napoléon ». L’autoroute est vide de voitures. A l’approche du centre-ville les bâtiments sont illuminés comme à Noël, surtout le long de l’avenue de l’Indépendance, artère principale bordée de magnifiques immeubles construits après la guerre à l’époque de Staline – pour ne pas dire staliniens. Les trottoirs, immenses, sont, eux aussi, totalement déserts.
A l’aéroport je tombe dans les bras d’Andrei Liankevich, rencontré lors dans mon premier voyage à Minsk et dont j’avais exposé les images à la biennale de Luang Pra Bang et à Photoquai 2011. Il est à présent directeur artistique de cette deuxième édition du Mois de la photographie de Minsk et m’a demandé d’y exposer « Komunalka, », les appartements communautaires intéressant les biélorusses, anciennement inclus dans l’URSS.
Il me conduit au CECH Art Spacing, où sont exposés les artistes du mois de la Photo. Nous arrivons dans une rue très sombre, il est 18 h, la nuit est déjà tombée. Les lampadaires suspendus à l’ancienne au milieu de la rue, éclairent à peine. Je retrouve le même charme qu’à Saint Petersbourg dans les années 90. De chaque côté, dans la pénombre, des anciens ateliers d’usine. C’est à présent le quartier culturel alternatif à la mode. Par une petite porte, nous accédons à des escaliers en bois un peu bricolés et entrons dans une énorme friche industrielle aux allures de cathédrale. La majeure partie des expositions du Mois se trouve là. Certaines photographies sont exposées dans les alcôves, d’autres sur des cimaises en contreplaqué au milieu de l’atelier. Trois belles jeunes filles à la peau transparente et aux yeux bleus nous accueillent. Ce sont les médiatrices de l’exposition. Assises derrière une table, elles sirotent un thé chaud et me tendent un bouquet de fleurs comme cadeau de bienvenue. Devant elles, posés, des livres et des cartes postales des œuvres exposées.
Le sujet de Siarhiej Lieskiec (Biélorusse), « AGRO » retient mon attention. Le photographe travaille sur les jeunes que le gouvernement incite à retourner à la campagne, dans le cadre du programme « Rural Renaissance ». On leur propose une maison gratuite dans des petits villages à l’intérieur des sovkhozes désertés. Siarhiej Lieskiec précise que « d’un côté c’est un coup de pouce vers l’âge adulte, évitant aux jeunes d’avoir à s’endetter pour acheter un logement ou de patienter sur listes d’attente en restant chez leurs parents. D’un autre côté, ces jeunes citadins à la campagne se retrouvent dans la même zone de confort que leurs parents sans même le réaliser, et sont limités dans le choix de leur futur. »
Un peu plus loin, Jana Romanova (Russe) expose à l’horizontal sur des plots en contreplaqué à 20 cm du sol, sa série « Waiting » de couples de dormeurs dont la femme est enceinte. Des cadrages serrés, en plongée, une recherche très précise de la gestuelle de ces couples au petit matin, des couleurs et des détails sur les draps, les draps housses très fleuris, les vêtements de nuit, les dessous. Tous ces détails de l’intimité matinale m’interpellent. Le projet explore non seulement les attitudes de chacun dans cette période d’attente d’un enfant , mais aussi la façon dont vivent les jeunes parents dans les grandes villes de la Russie moderne, 20 ans après la chute de l’Union Soviétique où la natalité a dramatiquement chuté.
Enfin, la rétrospective de Jury Vasiljeu ne montre pas seulement son travail de photographe, mais rend aussi hommage à sa contribution essentielle à la création et au développement d’un milieu photographique amateur à Minsk, grâce au club photo « Minsk » qu’il a fondé en 1979. Le grand tirage vintage de 1973 « Senturis, carelia » représentant en gros plan une femme avec des lunettes de soleil et un foulard devant les bulbes des toits d’une église orthodoxe, me fait penser à l’esthétique de Rodtchenko.
La visite m’amène ensuite à un escalier ancien bordé de murs en briques où est accroché le sujet sur les femmes battues d’un jeune photographe biélorusse, Alexander Vasukovich. Il y travaille depuis 3 ans, ses photos, très personnelles m’interpellent par l’originalité du traitement, vision pertinente et intimiste de la violence faite aux femmes, tel ce portrait assez flou, le point uniquement fait sur le cou de la femme, en sang.
Au premier étage, une galerie présente « Komunalka » et, à côté, une salle de conférence, où ont lieu des débats sur la photographie, animés par des historiens.
Le mois de la photo continue au musée d’Art moderne, où sont exposées les séries de portraits « It’s all my fault » et « Love. Just You and Me » de la photographe russe, vivant en Pologne Marina Drozza-Sobowska, une exploration psychanalytique et existentielle de la « zone indistincte » entre les concepts d’amour et de culpabilité.
« Moment suprême » au musée d’Art contemporain construit par l’architecte Satvitsky. Le photographe allemand Manuel Schroeder m’explique sa conception du « moment d’inspiration suprême ». « C’est plus que de l’art, c’est un moment de réalité. » En français – qu’il ne parle pas – dans le texte. Le secret l’inspire, la lumière est très importante pour lui, notamment celle du soir ou de la nuit. Des couleurs denses influencées par la peinture et par Hopper, des décors de gares ou de trains. Il travaille en numérique sur pied et ne retouche jamais ses photos. Ses images donnent une nouvelle étrangeté à ce que nous percevons habituellement comme familier, nous révélant notre subjectivité inconsciente. Il n’encadre jamais ses œuvres, il les cloue au mur.
Je repars de Minsk à 11 h du matin par la même autoroute bordée de forêt de bouleaux, sans voiture ni panneau publicitaire. A l’aéroport, j’apprends que le prix Nobel de littérature a été décerné à l’auteure biélorusse Svetlana Alexievitch. La photo de couverture de son livre « La fin de l’homme rouge » est créditée Andrei Liankevich.
Françoise Huguier
INFORMATIONS
The Month of Photography in Minsk
En partenariat avec le Goethe Institut de Minsk, l’ambassade de France en Biélorussie
http://mfm.by/en/about/