La galerie VU’ expose une sélection de portraits du photographe américain Jeffrey Silverthorne. Né en 1946, il travaille, depuis les années 60, sur des sujets extrêmes : morgue, transsexuels, marginaux, abattoir… Mort, sexe, transgression, métamorphose et limites : ses photos frontales, étranges, théâtrales parfois, qu’elles soient en noir et blanc ou en couleur, parlent aussi de la vie telle qu’elle est, de l’angoisse existentielle qui lui est inhérente et de la curiosité intime de l’autre. C’est particulièrement frappant dans cette exposition.
Plusieurs autoportraits mettent l’artiste en perspective, instillent du mystère dans la vie quotidienne : que pense-t-il quand les yeux fermés, l’air inspiré, il s’apprête à se faire couper les cheveux ou la barbe ? Que signifie cet autoportrait dans un miroir où on l’aperçoit à peine ? À leurs côtés, des portraits. Derrière chacun d’eux transparaît ce que l’on imagine de la personnalité du modèle : comme Victoria, dont le regard noir exprime la terreur ou la tristesse ; Tim, qui se laisse aller les yeux clos, la tête inclinée, confiant dans le regard du photographe ; James, au visage christique ; ou encore cette femme chez elle, à peine vêtue, avec une tondeuse. Abandonnés, lascifs, joueurs, nus, dérangeants : une galerie de personnages très incarnés.
Un portrait de nourrisson monté sur le corps d’un oiseau mort rappelle la fascination du photographe pour le sujet, dans une image à la dimension presque religieuse. Comme cette belle pietà en couleurs, très picturale.
Confrontées à ces images crues, des photos d’enfants expriment une ineffable tendresse : une toute petite fille, Kiera, se love dans un coin, pouce dans la bouche, doudou à la main ; Zachary, en gilet de sauvetage et maillot de bain devant un lac ; ou, plus étrange, Alyssa, en costume dans une atmosphère sombre, et dans son bain, cachée derrière un masque de femme fatale. Plus loin, une mère et sa fille sur un canapé, dans un univers figé, évoquent un monde dont paradoxalement la vie semble absente.
Le photographe raconte ainsi son rapport au portrait : « Les photos des gens qui participent à la conception de leur image sont au cœur de mon travail. Un portrait implique une présentation et le choix du lieu et du moment. J’ignore quelle part du modèle est visible. Je crois que l’image obtenue correspond plutôt à ce à quoi je tente de répondre. Regarder et enregistrer, ce sont des moyens de mesurer et d’évaluer ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Les stéréotypes et les normes sociales, ce à quoi ressemble une personne, ce à quoi peut ressembler une image — tout cela, ce sont des considérations qui influencent la prise de vue. Mes autoportraits sont un prolongement de ce travail, l’artiste au travail, l’artiste en tant que modèle ; ils sont les outils de base qui permettent de réfléchir aux relations entre individualité et communauté, aux frontières de ce qui est et de ce qui pourrait être. »
Ses images dialoguent avec celles d’Alexia Monduit, exposées dans l’autre espace de la galerie (voir article), et où l’on retrouve les notions de transgression, de prise de risque, et une expérience physique et émotionnelle intense.
Le travail de Jeffrey Silverthorne fait également l’objet d’une rétrospective, The Precision of Silence, sa première en Europe, au musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône jusqu’au 18 janvier. Un livre avec des textes de François Cheval est publié à cette occasion aux éditions Kehrer.
EXPOSITION
Dans le cadre du Mois de la Photo 2014
Jeffrey Silverthorne : Portrait 1968-2012
Jusqu’au 10 janvier 2015
Galerie VU
58, rue Saint-Lazare
75009 Paris
France
Du lundi au samedi, de 14 h à 19 h
http://www.galerievu.com