J’ai commencé ce projet en 2008 à l’occasion d’un voyage en Haute-Egypte. La gare de Masr est un lieu qui réunit tous les Egyptiens en un seul endroit. Des gens aux cultures différentes, aux accents, et parfois même aux dialectes variés, je les ai tous rencontrés comme si j’avais voyagé à travers toute l’Egypte. On reconnait facilement les gens qui ne sont pas du Caire par leur accent ou leurs vêtements, comme ceux de Haute Egypte qui portent toujours la traditionnelle galabia ou les soldats qui font leur service militaire loin de chez eux. Je voulais montrer ce multiculturalisme et je me suis concentré sur la diversité des lieux et des cultures plus que sur les différences sociales.
J’ai aussi pensé au nom de la gare, qui s’appelait « Masr ». « Masr », en arabe, signifie Egypte. Les gens des différentes provinces égyptiennes ont l’habitude d’appeler Le Caire Egypte, c’est la raison pour laquelle ils ont appelé son terminal la Gare d’Egypte. Pour la plupart d’entre eux, Le Caire est l’endroit le plus développé du pays, c’est une ville ou ils peuvent trouver un travail, une meilleure éducation et un niveau de vie supérieur. « Masr Station » représente pour moi l’exode rural. C’est un aspect important de la culture egyptienne. Quand j’étais à l’école, mes camarades me demandaient toujours d’où je viens. Je leur répondais que je viens du Caire puisque toute ma famille est d’ici. C’est une réponse assez rare, la plupart de mes amis s’y étant installé récemment. A l’université, j’ai réalisé que la plupart de mes amis n’habitaient pas ici. Beaucoup d’entre eux étaient venus au Caire pour leurs études et habitaient en résidence universitaire ou faisaient le trajet tous les jours en train. Ca a été une grande surprise pour moi car le train a toujours été synonyme de voyage. J’ai de nombreux souvenirs. Je me souviens, enfant, voyager avec mes grands-parents pour rendre visite à leurs amis; je me souviens quand à l’université je prenais le train avec mes amis pour Louxor ou Aswan; je me souviens plus tard quand je prenais le train pour Alexandrie afin de me reposer loin de la pression du Caire. J’ai senti le besoin de photographier ces gens qui, par milliers chaque jour, quittent leurs familles, attirés par la capitale. Ils dégagent des sentiments mêlés de fatigue, de plaisir, d’excitation, de découverte, de fierté et d’espoir.
La seconde surprise pour moi a été de découvrir que l’Egypte a le deuxieme réseau ferroviaire au monde. La gare actuelle du Caire a été construite en 1892 et améliorée en 1955. Il y a quelques années, les autorités ont décidé de rénover le bâtiment et ont détruit la plupart des fondations. Ils ont éliminé toutes les traces du passé et les ont remplacées par un design extrêmement moderne que je déteste. J’étais très déçu et étant donné qu’ils n’avaient pas encore touché aux plates-formes de Haute Egypte à cette époque, j’ai décidé de photographier sur ces quais pour garder vivante la mémoire du lieu. Documenter ce patrimoine architectural qui raconte l’histoire de l’Egypte était une autre motivation de ce travail.
Je voudrais faire un livre sur ce projet et le poursuivre. Je rêve de voyager sur le toit du train pour photographier les gens qui ne peuvent pas se payer de billet. Ils grimpent sur le toit et passent leur voyage là-haut. Il y a beaucoup d’histoires associées au toit des trains: un célèbre gang d’enfants de rue qui voyageaient toujours comme ca ou un criminel qui tuait les enfants et les jetait du train.