Shane Perez a toujours eu une certaine distance par rapport à l’autorité. Pendant son adolescence, passée à Miami, il accompagnait son père dans de longues randonnées à vélo à travers les marais des Everglades et visitait régulièrement les voitures abandonnées et autres détritus de la civilisation. Durant la même période, il découvrit le plaisir de pirater les systèmes de communication, écoutant les conversations et se jouant des opérateurs de téléphone. Pour cela, il se mit à rechercher des cabines téléphoniques près d’endroits isolés, souvent à proximité d’immeubles inoccupés. Et ce furent ces mêmes immeubles abandonnés qui le poussèrent à exercer l’activité qu’il décrit maintenant comme de “l’incursion ludique.”
Perez se concentre sur les infrastructures monumentales : tunnels, ponts, centrales électriques, usines, stations de métro, et autres espaces démesurés. Son attirance pour ces endroits abandonnés se ressent dans ses photographies, particulièrement celles qui introduisent des nus féminins isolés dans cet environnement, explorant en profondeur la relation entre l’animé et l’inanimé, le vulnérable et l’impénétrable, le spirituel et le temporel.
“Les nus se sont en quelque sorte imposés d’eux-mêmes,” explique Perez. “Les gens les aimaient alors j’ai continué de m’en amuser. Je cherchais quelque chose avec eux. Les espaces suggèrent des choses et j’ai vu qu’il serait intéressant d’y faire entrer quelqu’un.” Perez met en place un trépied pour réaliser une vue de la scène en l’absence du modèle puis montre à celui-ci les limites du cadre. Dans cet espace, ils sont libres d’escalader, de se déplacer et de faire ce que bon leur semble. Perez explique que la nudité des modèles permet de ressentir l’espace comme s’il était renvoyé à son état naturel. “Quelqu’un qui entre là avec ses vêtements se sent comme un visiteur, plutôt que partie de l’environnement. Je voulais que les photos puisse laisser penser, ‘ça pourrait arriver’.”
Les photographies de Perez interrogent la manière dont nos connaissances techniques contribuent à assurer la cohérence de la société, et explorent de possibles futurs. “Qu’arriverait-il si un être primitif était lâché dans un de ces espaces modernes qui a été laissé à l’abandon ? Qu’est-ce qu’il lui donnerait comme sens ?” demande-t-il. Dans la noirceur de ces images, il y a une part d’inconnu, créant un sentiment d’alarme qui peut difficilement être articulé. C’est le mystère propre au vide qu’il explore dans ses aventures et à travers ses photographies.
Avant cela, Perez prenait des instantanés avec un appareil jetable mais il réalisa que ces images ne traduisaient pas son expérience et qu’il devait acquérir l’équipement et la connaissance nécessaires pour prendre des photographies de ces espaces lugubres et étrangement éclairés. Autodidacte, Perez ne s’interdit aucune forme de photographie, du numérique au 4×5. Il pratique le light painting, ouvrant l’obturateur et utilisant une lampe-torche pour peindre la scène avec des traits de lumière, mais peut aussi bien utiliser de vieilles ampoules de flash pour illuminer une scène. Mais généralement, il préfère travailler avec la lumière naturelle, visiter et revisiter les sites jusqu’à trouver le meilleur éclairage possible. Il lui est déjà arrivé de rester assis trois heures de suite au même endroit en attendant d’obtenir la bonne lumière pour faire son cliché.
Ses photographies révèlent la large proportion de ce que la société a laissé derrière elle. Ces bâtiments, qui se sont transformés en machineries autonomes, montrent à quel point nous sommes devenus insensibles à une situation pourtant nouvelle à l’échelle de notre espèce. “Nous ne pensons plus aux années d’invention et de développement qui ont permis que nous ayons de la lumière quand on actionne un interrupteur, ou d’ouvrir le robinet et d’avoir de l’eau. Nous considérons tout cela comme garanti. Cela demande de l’humilité, d’en prendre conscience – et de le montrer,” observe-t-il.
“Les gens devraient être libres de faire ce qu’ils veulent avec leurs propres corps, aussi longtemps qu’ils n’interfèrent pas directement avec l’expérience d’autres personnes. Les gens devraient être responsables d’eux-mêmes et être autorisés à prendre des décisions sur les risques qu’ils sont prêts à prendre,” affirme-t-il, réduisant ce que nous appelons sécurité à une simple illusion, tout au mieux.
Perez s’est retrouvé dans ce qu’il appelle des “situations folles” et explique, “il s’agit de se confronter à soi-même, de se mettre dans une situation où vous êtes complètement conscient de ce qui vous entoure. Le sol pourrait se dérober et vous feriez une chute de quinze mètres. Vous devez être complètement présent. C’est un environnement dangereux si vous ne faîtes pas attention. C’est comme être dans la nature, être un survivant.”
Miss Rosen