Sous les feux d’artifice, dans le ciel nocturne, New York est impénétrable. Arlene Gottfried l’a sillonnée avec son appareil et a collectionné des images d’un lieu et d’un temps aujourd’hui disparus. Ella a pu capturer le Lower East Side qui vibrait du rythme des Caraïbes avant qu’il ne soit rasé par la vague consensuelle et fortunée qui a tout balayé sous Bloomberg et Giulani.
Bacalaitos & Fireworks, Arlene Gottfried (powerHouse Books)
Bacalaitos & Fireworks (Bacalaitos et feux d’artifices, chez powerHouse Books), le quatrième livre d’Arlene Gottfried, réunit les photographies du Lower East Side des années 70 et 80, du temps où la culture salsa était à son apogée. New Yorico était devenue une île au style et à l’art fleurissants, peuplée de prophètes comme le poète Miguel Piñero. Dans A Lower East Side Poem, il écrit :
Un voleur, un junkie, j’ai été
commettant chaque péché ayant existé
Juifs et Gentils… clochards et seigneurs
élégants… enfant fugueur
Police tirant partout en l’air
futurs hurlements des mères… dealers
faisant des ventes… dans tous les coins
et vendeurs de cocaïne… fumant des joints
Les rues sont chaudes et nourries par ceux qui saignent à mort…
Les images de Gottfried sont mélodiques, et parfois hantées par les bribes d’un poème épique écrit depuis les rues de la ville. Comme dans ses précédents livres, Bacalaitos & Fireworks réussit à capturer l’air raréfié que les new-yorkais respirent.
I Am Cuban, Helena de Bragança (Damiani)
Dans les Caraïbes, une autre histoire nous attend, celle racontée par Helena de Bragança dans I Am Cuban (Je suis cubain, chez Damiani), une collection luxuriante de portraits et d’histoires du Cuba d’aujourd’hui. Comme Romina Ruiz Goiriena le dit, « Je ne suis pas sûre qu’El Nuevo ou n’importe quel autre titre de la presse étrangère comprenne vraiment que Cuba, c’est plus que des cigares, des prostituées, de la corruption et Fidel. Ce qu’ils ne voient pas, c’est que notre complexité vient d’un patriotisme schizophrénique résultant de l’héritage du projet nationaliste que nos grands-parents ont entrepris dans les années 60. Aujourd’hui, non seulement nous n’avons aucun usage de ce projet, mais nous n’avons aucune idée de ce que nous devons en faire. Mais, hélas, si je veux pouvoir mettre mon blog à jour ou lancer un journal en ligne, le seul moyen c’est d’écrire leur bavardage bourré de poncifs. Ça intéresse qui, qu’il se passe des choses plus importantes à Cuba ? »
À mesure que de Bragança explore le pays, nous voyons se dessiner un monde familier, et pourtant altéré par une histoire qui tombe en ruine sous nos yeux. Les images de Cuba sont empruntes de cet exotisme qui ne survit que par la force de l’esprit humain. Indomptable, il s’adapte à toutes les circonstances. À Cuba, l’orgueil est puissant, c’est ce qui attire autant de voyeurs. Avec ses images, de Bragança traduit la manière dont Cuba reste fidèle à elle-même.
Walker Evans: Cuba, Walker Evans (Getty Publications)
Des décennies plus tôt, Walker Evans s’est rendu à Cuba pour prendre des photos pour le livre The Crime of Cuba du journaliste américain radical Carleton Beals, qui voulait dénoncer la corruption du dictateur Gerardo Machado, qui a régné sur Cuba de 1925 à 1933. C’est cette dernière année que les photographies d’Evans ont été prises, un quart de siècles avant que Castro fasse l’histoire et change le pays à jamais. Evans prend les trottoirs, les rues, les éléments d’architecture, les vendeurs de rue et les prostituées, et le peuple de Cuba qui est la victime d’un gouvernement corrompu et qui survit comme il le peut.
Walker Evans: Cuba (Getty Publications) comprend une collection de 70 photographies prises lors de ce séjour. Comme Andrei Codrescu l’écrit dans l’avant-propos « Walker Evans dresse le portrait d’un peuple qui a l’air moderne et quelquefois prospère. La ville de La Havane semble vaste et sensuelle, pleine des constructions industrielles si chères à son esthétique. Bien sûr, il y a des mendiants, des prostituées, des gens dormant sur les bancs dans les parcs, mais on pourrait les trouver partout ailleurs dans les années 30. Il y a de l’angoisse sur certains visages, une indifférence feinte sur d’autres, de la souffrance dans certains regards. Nous pourrions être dans un New York désœuvré. »