Chaka Khan a interprété la chanson célèbre “I am every woman” (je suis toutes les femmes), et aucune artiste n’incarne plus brillamment cette affirmation que Cindy Sherman. Elle s’est métamorphosée à l’image d’autres femmes tout au long de sa carrière, livrant une performance ensorcelante pour interpréter tous les rôles attribués (pour la plupart) aux femmes caucasiennes tels qu’ils ont été créés et joués par des actrices sans nombre. Sa capacité à se transformer révèle la plasticité de la notion d’identité, définie par l’apparence et l’affect, par la manière dont nous communiquons inconsciemment nos peurs et nos rêves à travers des signes non-verbaux.
La photographie est le médium idéal pour les expérimentations et les découvertes de Sherman, l’image statique étant un espace silencieux et immobile idéal pour une contemplation éternelle. Le talent troublant de Sherman pour jouer un rôle et construire en l’espace d’une seule image toute une narration est simplement remarquable. Ce qui est peut-être choquant, c’est qu’elle fait cela depuis presque quarante ans, et que ses premiers travaux sont juste aussi profonds et irrésistibles que ceux de ces dernières années.
Ces premières œuvres sont rassemblées pour la première fois dans Cindy Sherman: The Early Works 1975–1977 Catalogue Raisonné (Hatje Cantz). Ce volume est tout simplement magnifique, un tour de force ahurissant qui dévoile, image après image de l’artiste qui a réussi à incarner toute une iconographie, une forme de narration personnifiée qui n’a pas d’antécédent à cette échelle dans l’histoire de la photographie.
Ce qui rend The Early Works particulièrement frappant est la simplicité du travail et la manière dont le livre lui rend magnifiquement justice. On comprend que le livre va être splendide dès qu’on aperçoit sa couverture, une jaquette orange mat recouvrant les pages de garde argentées, et lorsque l’on découvre que le livre fait 376 pages. Il est substantiel, et rempli de dépliants qui lui donne une dimension sculpturale. Les œuvres présentées à l’intérieur ne sont que pur plaisir, mises en valeur sur de vastes fonds blancs. Elles se suivent, l’une après l’autre, variations sur un thème, répétitions pour travailler un effet, une sorte de plaisanterie très intelligente que vous pourriez vous faire dans votre for intérieur. L’aisance de Sherman avec les personnages étranges qu’elle peut créer est clairement une forme de génie parfaitement adapté au médium photographique. Le plaisir de ce livre est de redécouvrir les premières manifestations de son intelligence, et la manière dont cette artiste est née pour se tenir devant un appareil afin de créer les images qui peuplent son esprit.
Lire la suite de l’article de Miss Rosen dans la version anglaise du Journal.