Avoir une muse, c’est apprécier les flux et reflux d’énergie qui existent entre l’artiste et le monde. La muse est celle qui inspire la création de quelque chose de nouveau à travers la mise en jeu d’idées, de sentiments, et de vibrations. L’artiste est celui qui connecte à cette énergie sa recherche du quelque chose qui les unit, de manifestations externes de questions sans réponses, la réunion de ce qui a été éparpillé. Quand ils se réunissent tous les deux, ils créent une harmonie de et avec l’univers, trouvant la balance entre le yin et le yang dans l’espace entre eux.
La muse peut déclencher la passion de l’artiste à tous les niveaux, leur permettant d’explorer leurs idées et leurs émotions, leurs fantaisies et leurs réalités, au moyen d’une forme visuelle. Et ainsi, le photographe Nick Haymes a trouvé Gabe Nevins, et Nevins a trouvé Haymes, et ensemble ils ont donné jour à une collection d’images à la fois sombres et luxuriantes, belles et repoussantes, puissantes et tristes.
Haymes vient juste de sortir GABEtm (Damiani), un ensemble d’images qui nous attirent dans le monde sombre et sans entraves de cet adolescent tardif. Ses photos permettent à Gabe de se montrer tel qu’il est, luttant pour trouver un certain bien-être dans son corps fragile mais élastique. Haymes permet à Gabe de se sentir libre et sauvage, et il semble que Gabe ait à peine, si ce n’est pas du tout, conscience qu’il y a un appareil qui l’accompagne en permanence. Les images qui en résultent nous donne un aperçu d’une personne que nous ne connaîtrons peut-être jamais, une personne qui lutte entre douleur et plaisir, essayant de se trouver avant qu’il ne soit trop tard.
Comme Gus Van Sant l’écrit dans l’introduction, « Quand je recherchais de jeunes skateboarders pour mon film Paranoid Park j’ai regardé par la fenêtre de notre studio de casting une après-midi et j’ai vu Gabe Nevins qui faisait du skate… Il avait l’air vaguement indien, il donnait aussi l’impression que quelque chose le perturbait vraiment, ce qui était également le cas pour le personnage dans l’histoire que nous étions sur le point de tourner – et il avait l’air plutôt mature pour ses quatorze ans et avait un grand sens de l’humour. Il était aussi très à l’aise devant la caméra et pouvait improviser facilement juste parce qu’il trouvait ça marrant. Et plus important, mon assistant me promit qu’il allait briser des cœurs. Alors Gabe a eu le rôle. »
Et effectivement, ce sont ces mots, « briser des cœurs », qui sonnent vrai quand on regarde ces photographies de Haymes, mais deviennent franchement incontestables quand on lit les mots de Gabe. Le livre est un mélange étrange de bribes de conversations sur facebook et d’emails envoyés à Haymes et Harmony Korine, nous donnant un rapide aperçu de l’esprit d’un personnage troublé. Gabe exprime son aliénation, essayant de donner un sens à sa vie à travers une combinaison de pseudo-intellectualisation et d’angoisse adolescente. Le résultat est touchant, quand on le ramène aux images, l’esprit à l’intérieur du corps et du visage qu’Haymes nous dévoile. Gabe écrit : « J’emmerde les relations ! L’amour est un mythe. Une réaction chimique, agréable pendant une minute mais qui conduit ensuite aux peines de cœur, à l’agitation, et à la contrariété. Berk. »
Haymes inclut aussi un email que Gabe lui a envoyé, qui ressemble autant à un poème qu’à un appel à l’aide :
Y’aurait-il moyen que tu m’envoies de l’argent
J’ai été dans les rues de sanfrancisco
pendant une semaine
à prendre de la drogue
j’ai essayé les amphé avec un accro l’autre jour
j’ai accepté des rencontres pour de l’argent
je suis vraiment au bord de craquer
je n’en peux plus
Alors que la correspondance suit son cours, nous commençons à comprendre ce qui rend un garçon aussi désespéré et perdu, en observant le désir de Gabe d’établir des connexions, de faire sens, de trouver une voie et un guide. Ses appels à l’aide par emails révèlent une sorte de douleur sans espoir. Et c’est ainsi parfois que la muse extériorise quelque chose de et pour l’artiste dans sa recherche de soi, devenant en même temps le sacré et le profane, l’innocent et le dépravé, le tout qui s’est brisé en morceaux et cherche la fusion – à la fois à travers les yeux de l’artiste et ceux du monde.