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Migration, mémoire, identité : principaux enjeux du Scotiabank CONTACT Photography Festival 2017

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Alors que le Canada fête ses 150 ans, le Scotiabank Contact Photography Festival propose à Toronto un mois entier dédié à la photographie sous toutes ses formes. Ce festival interdisciplinaire se consacre en 2017 au sujet du sesquicentenaire de la création de la Confédération canadienne et aux problématiques qui en résultent : identité, mémoire, environnement et histoire coloniale.

Le mot Canada provient de Kanata qui signifie  « village » en Huron (la nation amérindienne huronne-wendate étant originaire du sud de l’Ontario). Nous sommes en présence d’un oxymore car ce « village » représente aujourd’hui l’un des plus grands pays du monde regroupant plus de cinquante “Premières Nations”et environ deux cents origines ethniques. Cette diversité socio-culturelle rend difficile l’appréhension du Canada dans son entier. Le sesquicentenaire est une bonne occasion de se questionner sur l’identité, ou plutôt les identités canadienne, à l’heure actuelle. C’est ce que propose l’édition 2017 du festival.

La réflexion sur l’histoire du Canada rend nécessaire la définition de l’espace national : le paysage canadien est en effet l’un des sujets centraux du festival. De nombreuses expositions évoquent les questions de souveraineté, de patriotisme et d’identité. L’exposition collective What does one do with such a clairvoyant image? à la Gallery 44 ou Habitat par Luis Jacob à la Gallery TPW en sont des exemples. It’s All Happening So Fast: A Counter-History of the Modern Canadian Environment au Musée d’art de l’Université de Toronto conteste les hypothèses fondamentales du Canada dans sa perception et sa relation à la nature. Ces propositions portent en même temps un regard critique sur le territoire car le Canada possède aujourd’hui un bilan écologique plutôt faible.

L’urbanisation galopante au cours du XXe siècle a profondément transformé le paysage nord-américain. An Enduring Wilderness: Toronto’s Natural Parklands, l’exposition de Robert Burley à la galerie John B. Aird, évoque une certaine nostalgie de la nature d’où transparaît une vision idyllique et une harmonie disparues. Pendant que Burley retrouve une expérience pastorale dans les parcs urbains de la capitale de l’Ontario, d’autres artistes traitent le sujet de l’architecture et du développement urbains. L’exposition Habitat, tout comme l’installation vidéo intitulée Canada par Mark Lewis à l’AGO (Art Gallery of Ontario), explore l’environnement urbain sous l’angle critique de l’industrialisation et de l’expansion continue. Les courts-métrages de Souvenir, présentés à Ryerson Image Centre, dressent une image de cette urbanisation rapide du point de vue des communautés indigènes qui ont quitté les territoires du nord pour s’installer dans le sud citadin.

Les quatre films de l’exposition Souvenir, créés par des artistes indigènes contemporains, Jeff Barnaby, Michelle Latimer, Kent Monkman et Caroline Monnet, abordent l’histoire compliquée des “Premières Nations” avec puissance et authenticité. Retravaillant les images d’archive du National Film Board of Canada, ils proposent en effet une critique de l’histoire coloniale du Canada . Dans sa série Coastal, présentée à Harbourfront Centre, Johan Hallberg-Campbell explore également la culture des communautés indigènes. Son très beau travail, qui comprend une installation vidéo, des tirages de grande taille présentés dans une scénographie couvrant entièrement les murs ainsi que des images exposées dans l’espace public, décrit la vie des pêcheurs du nord lointain et (re)contextualise notre rapport à cet héritage ancien.

Les côtes sont aussi le sujet de l’exposition Newfoundlandings proposée par Michael Snow, l’un des artistes canadiens les plus connus. Son travail présenté à Prefix Institute of Contemporary Art nous amène dans une région du Canada, Newfoundland, qui n’a rejoint la confédération qu’en 1949, et dont l’adhésion reste encore aujourd’hui contestée par certains. .

L’héritage de la culture ainsi que l’histoire moderne et contemporaine des communautés noires font également partie du panorama des questionnements du festival. Free Black North à AGO regroupe les photographies des descendants des réfugiés et d’anciens esclaves du sud des Etats-Unis qui ont vécu à Ontario dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ears, Eyes, Voice: Black Canadian Photojournalists 1970s-1990s de Band Gallery présente des portraits mettant en lumière la force et le pouvoir de ces communautés : l’exposition réunit les photos de presse de Jules Elder, Eddie Grant, Diane Liverpool, Al Peabody et de Jim Russell, auteurs qui eux-mêmes ont souvent été la cible d’actes de racisme.

En Amérique, tout le monde a une histoire de migration dans sa famille, souvent même plusieurs. Chacune de ces histoires personnelles révèle des niveaux différents de la problématique identitaire et d’appartenance. Outre les portraits des individus marginalisés ou des membres d’influence d’une communauté (hommes politiques, activistes, protestants, mais aussi vedettes et sportifs), ces questionnements profonds se retrouvent également dans les expositions montrant des photos trouvées et des albums de famille anonymes. The Family Camera: Missing Chapters, présentée parallèlement à l’Art Gallery of Mississauga et au Royal Ontario Museum, explore les facteurs sociaux, politiques mais aussi technologiques que les images d’amateurs et les photos de famille peuvent avoir sur le vécu d’un individu. L’installation As Yet Untitled par Max Dean à Ryerson Image Centre propose une réflexion sur notre rapport à ces images de l’intimité en les traitant comme des objets abandonnés : le robot les détruit sauf si le visiteur intervient.

Les histoires personnelles ne concernent pas seulement le passé : les jeunes membres de la deuxième génération et les immigrants proposent aussi des thématiques pertinentes. Dans son exposition Pacifier à Contact Gallery, Petra Collins fait par exemple le portrait de sa famille vieillissant et de la vie complexe des adolescentes. 2Fik, venant d’une famille marocaine de Paris, et qui vit à Montréal depuis une quinzaine d’années, joue entre document et fiction pour déconstruire des stéréotypes. Sa série His and Other Stories à Koffler Gallery oblige le spectateur à mettre en cause son propre sentiment de soi et à réfléchir sur les notions de genre, sexualité, croyance, universalité et altérité.

Le genre, le sexe et l’autodéfinition sont également des sujets centraux du travail de Suzy Lake, lauréate du Scotiabank Photography Award 2016. Son exposition à Ryerson Image Centre retrace le parcours de l’artiste depuis 1976. Cherchant toujours à repousser les frontières du médium, Lake explore la photographie sous une approche conceptuelle, tout en mettant l’accent sur des problématiques sociétales.

L’artiste qui a remporté le prix cette année est Shelley Niro. Son travail Battlefields of my Ancestors est actuellement exposé à Ryerson University ainsi qu’à Fort York National Historic Site sous forme d’installations publiques. Il reflète parfaitement les enjeux de cette édition du festival. Artiste interdisciplinaire, Niro porte un regard critique sur la représentation de la femme indigène et sur l’interprétation de l’identité et de la culture des “Premières Nations” ainsi que sur le paysage canadien. Son exposition personnelle sera présentée l’année prochaine à Ryerson Image Centre dans le cadre du Contact festival .

Orsolya Elek

Orsolya Elek est photographe, webmaster et agent de marketing culturel. Elle vit et travaille à Paris.

Scotiabank Contact Photography Festival
Mai 2017
Divers lieux dans Toronto
Canada

http://scotiabankcontactphoto.com/

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